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t28 LES PRIMITIFS FLAMANDS

avec l'œuvre de Roger van der Weyden. Le génie cyclique du porlraileur de Bruxelles ne va point jusqu'à éviter quelque manque de liaison entres les différents panneaux de son œuvre. Un jeu savant de lignes harmonieuses rassemble au contraire étroitement les trois parties du Jugement de Dantzig. Qu'on se souvienne aussi des nus assez pauvres de Roger de la Pasture; ceux de Dantzig sont modelés, dessinés, groupés avec maîtrise, tout en gardant les lignes de la plus expressive chasteté. Est-ce à dire que le retable de Jacopo Tani surpasse celui de Nicolas Rolin ? Nullement. Ni la suavité du disciple, ni son élégance, ni son adresse à rajeunir les formules vénérables ne sauraient faire oublier la grandeur souveraine du maître.

Memlinc néanmoins atteint ici un second sommet, — le triptyque de Devonshire perpétuant le souvenir de son ascension première (i). Il n'est guère possible de suivre le développement progressif de sa maîtrise à travers les œuvres antérieures à 1475; mais nous pouvons mesurer le chemin accompli par le maître depuis son arrivée à Bruges, depuis l'exécution du retable de sir John Donne. Charme de plus en plus vif, harmonie de plus en plus idéale, et — qualité sensible surtout dans les portraits — possession de plus en plus sûre du métier : le maître est prêt aux tâches décisives.

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L'éblouissant Mariage mystique de sainte Catherine (fig. LXXXIV à LXXXVIII) du musée de l'Hôpital fut commencé en 1475, peut-être même un peu avant, et le maître Y travailla pendant quatre ans (2). Memlinc reprend ici le motif du triptyque de Devonshire en le modifiant au point d'aboutir à une conception nouvelle. La Vierge trône au centre d'une salle à colonnes et tient l'enfant sur ses genoux. Les deux saints Jean, qui dans le triptyque de Devonshire figurent sur les volets, paraissent ici dans le panneau central, aux côtés de la madone. Sainte Catherine devant saint Jean l'Evangéliste et sainte Barbe devant saint Jean-Baptiste occupent le premier plan aux extrémités du panneau. Deux

(1) Il existe dans une petite ville de la Sicile, Polizsî Generosa, un triptyque représentant au centre la Vierge entourée de quatre anges musiciens et sur les volets sainte Catherine et sainte Barbe, œuvre d'une qualité supérieure et à laquelle nous avons con.- lacré une étude dans \t Journal de Bruxelles du 23 novembre 1908. Suivant une tradition de la fin du XV' siècle, ce triptyque aurait été donné à l'église de Sainte.-Marie^^des.-Anges de Potizzi par un capitaine de vaisseau du nom de Lucas Giordanus; l'histoire res.- semble, on le voit, à celle du Jugement T)ermer de Dantzig. Avec les réserves d'usage, nous avons attribué le triptyque de Polizzi à Memlinc. C'est sûrement une œuvre de son atelier.

(2) On peut lire sur le cadre un texte qui reproduit sans doute une inscription contemporaine : Opus Jobannis Memling anno MCCCCLXXIV, Jusqu'en 1637, le che(.-d'œuvre orna l'église de l'Hôpital; envoyé à Paris en 1794, rendu en i8i5, il fut restauré en 1817 — non sans dommage — par J. F. Ducq. Les traces des repeints sont encore sensibles sur le volet représentant saint Jean il Pathmos (le cercle intérieur de l'arc-en^-ciel, les reflets des rochers, etc). Certaines taches brunâtres sur les figures du panneau central n'existaient certes point au XV" siècle. Il est piquant de constater qu'un grand critique allemand considère le volet gauche comme étant le mieux conservé, alors qu'il est tout simplement le plus restauré.

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