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tOZ LES PRIMITIFS FLAMANDS

mais persista à se proclamer un enfant de perdition. Ce fui dans cet état de souffrance qu'il entra au couvent. L'aide et l'assistance que les frères choraux lui procurèrent, l'esprit de charité et de compassion dont ils lui donnèrent des preuves nuit et jour en s'efforçant de tout prévoir, ne s'effaceront jamais de la mémoire. Et cependant plus d'un et les grands exprimaient une tout autre opinion. On était rarement d'accord sur l'origine de la maladie de notre frère convers. D'après les uns, c'était une espèce de frénésie. A en croire les autres, il était possédé du démon. Il se révélait, chez lui, des symptômes de l'une et de l'autre de ces affections ; toutefois, comme on me l'a fréquemment répété, il ne voulut nuire à personne qu'à lui-même pendant tout le cours de sa maladie. Ce n'est pas là ce que l'on dit des frénétiques ni des possédés ; mais, à mon avis, Dieu seul sait ce qui en était, « credo Deus solus novil. »

« Nous pouvons envisager de deux manières la maladie de notre convers. Disons d'abord que ce fut sans doute une frénésie naturelle et d'une espèce particulière. Il y a, en effet, plusieurs variétés de cette maladie, qui sont provoquées, les unes par des aliments portant à la mélancolie, les autres par l'absorption de vins capiteux, qui brûlent et incinèrent les humeurs ; d'autres encore par l'ardeur des passions telles que l'inquiétude, la tristesse, la trop grande application au travail et la crainte; les der- nières enfin par l'action d'une humeur corrompue, agissant sur le corps d'un homme déjà disposé à une infirmité de ce genre. Pour ce qui est des passions de l'âme, je sais, de source certaine, que notre frère convers y était fortement livré. Il était préoc- cupé à l'excès de la question de savoir comment il terminerait les oeuvres qu'il avait à peindre et qu'il aurait à peine pu finir, comme on le disait, en neuf années. Il étudiait très souvent dans un livre flamand. Pour ce qui est du vin, il buvait avec ses hôtes, et l'on peut croire que cela aggrava son état. Ces circonstances purent amener les causes qui, avec le temps, produisirent la grave infirmité dont Hugues fut atteint.

" D'autre part, on peut dire que cette maladie arriva par la très juste pro- vidence de Dieu, qui, comme on le dit, est patient, mais agit avec douceur à notre égard, voulant que nul ne succombe, mais que tous puissent revenir à résipiscence. Le frère convers dont il est ici question avait acquis une grande réputation dans notre ordre; grâce à son talent, il était devenu plus célèbre que s'il était resté dans le monde. Et comme il était un homme de la même nature que les autres, par suite des honneurs qui lui étaient rendus, des visites, des hommages qu'il recevait, son orgueil se sera exalté, et Dieu, qui ne voulait pas le laisser succomber, lui aura envoyé cette infirmité dégradante qui l'humilia réellement d'une manière extrême. Lui-même, aussitôt qu'il se porta mieux, le comprit; s'abaissant à l'excès, il abandonna de son gré notre réfectoire et prit modestement ses repas avec les frères lais.