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lOO LES PRIMITIFS FLAMANDS

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volel avec ses hauts arbres sans feuilles se dessinant nerveusement sur un ciel mouve- menté, ses collines où s'élève un château poétique se mirant dans un étang paisible, ses seigneurs, ses bûcherons, ses cavaliers disposés dans la perspective avec une science plus précise encore que celle de Thierry Bouts et un pittoresque qui contient toutes les inventions du maître d'Oultremonl? Pour nous qui connaissons ces sites douce- ment vallonnés du Brabant et du sud de la Flandre, qui voyons encore de nos jours, aux approches de la Noël, les mêmes arbres droits et nus, nous sommes à leur vue transportés en pleine terre natale et l'émoi qui nous emplit est indéfinissable et sacré... Dans l'autre volet saint Thomas et l'extraordinaire saint Antoine ont la solennité grandiose des apôtres de Diirer (i). Thomas Portinari, agenouillé dans sa longue houppelande et suivi de ses deux adorables bambini, est tel qu'on le souhaite : simple, noble, fervent et très proche parent des donateurs flamands qui figurent sur nos tableaux primitifs. On imagine Thomas Portinari, priant de la sorte à l'église Saint- Jacques et se confondant presque avec les riches brugeois de sa paroisse.

L'Annonciation, représentée au revers des volets, est mal conservée (2). De plus nous y voyons reparaître avec excès ce pathos que nous signalions dans la Pietà de Vienne. Elle indique comme un brusque écart d'imagination, et l'on ne peut com- prendre cet ange qui semble dicter un ordre alors qu'il devrait annoncer humblement la plus grave et la plus merveilleuse des nouvelles...

Que se passa-t-il alors? Les uns — les romantiques — supposent que van der Goes perdit cette fiancée qu'il avait représentée avec tant de bonheur près du Muyde Brugsken; les autres qu'il se désespérait de ne pouvoir réaliser dans son art celle perfection qu'il admirait tant chez les van Eyck. Peut-être tout simplement sentait- il les premières atteintes d'un mal qu'il voulait dissimuler au monde? En tous cas dans le courant de l'année 1476, à l'expiration de son doyenné de la Gilde des Peintres et alors qu'il travaillait sans doute encore au Retable des Portinari, le maître prit la résolution de se retirer au couvent de Rouge-Cloître, près de Bruxelles, où son frère utérin, Nicolas, était oblat. Hugo van der Goes habitait depuis cinq ou six ans le célèbre prieuré brabançon — qui n'est plus hélas ! aujourd'hui qu'une guinguette de la banlieue bruxelloise, — lorsqu'il perdit définitivement la raison. Voici en quels termes ce triste événement est raconté par Gaspar Ofhuys de Tournai dans une chronique heureusement mise au jour par Alphonse Wauters et

(1) n. A.-J. Wautkks dans sa Ptinture flamande a Iris justement remarqué que les grandes figures de van der Goes annonçaient Diirer.

(1) Une PrédelU représentant une .Jdarallon des Bergers et offrant quel.|j;i rémini;cences du relibl; de» Portinari est conservée au Musée de Berlin. On l'attribue à van der Goes. Cf. Wurabach, p. 591.