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96 LES PRIMITIFS FLAMANDS

El devant lui, la belle Abigaïl, vêtue comme une princesse du xv' siècle, manches pendantes, truffauds cornus, s'agenouille et prie le beau chevalier qui la contemple de recevoir les pains, la farine, les raisins secs, les deux cents cabas de figues qu'elle a fait transporter à dos d'âne à l'insu de son riche et déplaisant mari. Et qu'il est amusant le valet encapuchonné qui, au premier plan, garde les montures d'Abigaïl, et qu'elle devait être jolie la gente dame agenouillée devant son mystique sau- veur! En pendant à cette scène, à droite du premier plan, David épouse Abigaïl. Il est vêtu et couronné comme un roi — ce qui est une licence, car le vainqueur de Goliath ne fut couronné que plus tard, à la mort de Saùl. Mais la légende n'en est que plus belle, et ces nobles épousailles d'un roi très bon et très grave — comme on en rencontre dans les drames de Maeterlinck — étaient sans nul doute l'épisode le plus impressionnant de la merveilleuse histoire.

Il importe d'avoir présentes à l'esprit quelques-unes des admirables figures peintes plus tard par van der Goes pour son retable des Portinari si l'on veut mesurer toute la beauté de l'œuvre originale. Le copiste à qui l'on doit la réplique de Bruxelles semble avoir exécuté un carton de tapisserie, avec des simplifications dans les feuillages des ors de-ci de-là, et une certaine stylisation du décor qui s'écartent notablement de la manière de van der Goes. Ce qui nous intéresse, en somme, dans cette copie c'est la netteté avec laquelle elle nous permet d'apprécier la grande âme poétique du maître qui en conçut la ravissante donnée.

La copie de Prague, qui a les caractères techniques d'une oeuvre de Pierre Breughel le Jeune (i), semble très fidèle et donne une idée plus exacte des qualités de l'œuvre originale. Le décor de forêts, de collines, de burgs lointains y semble inspiré de Thierry Bouts, et ces réminiscences du peintre de Louvain marquent encore la période des débuts de van der Goes. Les formes néanmoins étaient traitées avec une grande puissance dans VAbigaïl de Gand et nous avons à cet égard les témoignages de deux artistes qui s'y connaissaient : van Mander et son maître Lucas de Heere. Ce dernier composa à la louange de cette œuvre de jeunesse et d'amour, un poème enthousiaste qu'il place dans la bouche d'une des femmes entourant Abigaïl. « Nous sommes représentées ici comme si nous vivions, par Hughes van der Goes, peintre éminent, pour l'amour qu'il portait à une de nos dignes compagnes dont le doux visage montre ce que l'amour a inspiré. De même l'image de Phryné révélait l'amour que lui vouait Praxitèle, car l'amie du peintre nous surpasse toutes en beauté, comme étant la première à ses yeux. Tous pourtant, hommes et femmes, sont faits avec grand art... Les couleurs bien appli-

(5) D'après Ka«i. Voll. Altniedtrlândische MaUrei.