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l’œuvre du bourreau est accomplie. Au centre du tableau l’exécuteur se dresse ; la tête du gentilhomme est posée sur le linge mortuaire comme si toute souffrance était terminée[1], tandis qu’une résolution inébranlable remplace les douleurs et les sanglots sur le visage de la veuve. Ainsi la seconde scène s’annonce dans l’épisode suprême de la première.

Dans l’autre panneau, (Fig. LIV) la veuve du gentilhomme subit l’épreuve du fer rougi et fait éclater l’innocence de son mari. Othon, pour réparer son injuste sentence, condamne l’impératrice au bûcher. L’empereur irrésolu, bon, plein de remords, fait contraste avec la femme énergique agenouillée devant lui. Les courtisans manifestent leur surprise et leur émotion, alors que les magistrats rassemblés ailleurs pour la décapitation semblent rester insensibles. Mais qu’ils sont significatifs ces bourgeois de Louvain, et vrais, et comme ils portent en eux tout leur siècle et toute leur race ! On en peut dire autant des gentilshommes et des chanceliers ascétiques rassemblés dans le second panneau. Le groupement même de ces bourgeois ou de ces seigneurs, d’un caractère nouveau, fait songer à la figuration de certaines fresques quattrocentistes. Quant à la scène du bûcher dans le second panneau, elle est traitée, en ses proportions minuscules, avec une légèreté, on serait presque tenté de dire avec un esprit, qui sont une surprise charmante dans cet art austère ; comme on l’a dit, c’est presque de la peinture de genre du xixe siècle. Le coloris de ces tableaux mériterait une longue attention, celui du second surtout où la houppelande écarlate du roi, le surcot vert et les chausses rouges du damoiseau appuyé sur sa canne, la robe carminée de la veuve, le riche vêtement du courtisan placé derrière elle, les beaux dallages, les marbres sombres du trône, le clair paysage du fond réalisent une harmonie riche et grave, un peu moins puissante que celle des tableaux de Jean van Eyck mais plus subtile peut-être, plus pénétrée de lumière vivante et expressive.

Thierry Bouts ne put commencer les deux autres grands panneaux destinés à compléter la décoration de la salle où fut placée la Légende d’Othon. Quelques années après sa mort, en 1480, la ville fit expertiser les deux compositions ainsi que le Jugement dernier, et s’adressa dans ce but « à l’un des peintres les plus notables que l’on pût trouver dans le pays, né dans la ville de Gand, et qui demeurait alors au prieuré de Rouge-Cloître, dans la forêt de Soigne »[2]. Hugo van der Goes, — c’était l’expert, — estima que sur le prix convenu, (500 florins) la ville devait aux héritiers du pourtraiteur une somme de 3o6 florins et 36 « placques ». On accepta ce chiffre et la ville

  1. Kahl Voll.
  2. Cf. Schayes. Bulletin de l'Académie royale de Belgique, I. c, p. 431, et A. Wauters, Thierry Bouts et ses fils, p. 30 et note 2.