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l’œuvre quand elle s’encadrait de ses volets et brillait dans sa niche sous la sauvegarde de la Vierge ! Des deux volets conservés à Munich : la Rencontre d’Abraham et de Melchisédech, et de la Récolte de la Manne (Fig. LII), ce dernier par la magnificence et la finesse du coloris, la qualité du paysage et de l’atmosphère, anticipe sur l’art des siècles suivants. Une lumière vive anime les personnages du premier plan et fait briller leurs costumes, tandis que les figures de l’arrière-plan s’enfoncent peu à peu dans un crépuscule savamment dégradé. Et cette recherche d’une ambiance expressive annonce le luminisme des Hollandais du XVIIe siècle. — Les volets du Musée de Berlin représentent le Prophète Élie qu’un ange vient réveiller — remarquable par l’harmonie des quelques personnages avec un site plein de poésie qui nous prépare aux paysages, si caractéristiques, de Gérard David, — et la Pâque qui nous ramène dans une salle fermée. En comparant ce dernier morceau à la Cène, écrit M. Karl Voll[1], nous nous persuadons que Thierry Bouts ne s’est pas contenté de recettes routinières pour résoudre le problème de la perspective, mais qu’il s’inspirait d’un sentiment infaillible et d’une intelligence de l’espace, tout à fait rare à cette époque. Mais jusqu’à quel point cette intelligence et ce sentiment étaient-ils soutenus par des connaissances positives ? C’est ce qu’il est impossible de déterminer. Devant les difficultés techniques de son art, comme devant les complexités morales de ses sujets, Thierry Bouts s’armait des clartés de sa conscience.

C’est l’année même où il acheva ce retable du Saint-Sacrement que l’artiste fut nommé portraiteur de la ville de Louvain. Ce titre lui valait chaque année une pièce de drap, de quoi se faire une robe de gala, plus une somme de 90 « plecken » pour l’achat de la doublure de ce vêtement… Comme peintre de la cité, il était tenu d’accompagner les processions annuelles du Saint-Sacrement et de la Kermesse. Au moment où les cortèges se disloquaient il recevait, comme tous les autres fonctionnaires, un pot de vin du Rhin. Depuis le jour de sa nomination de portraiteur, Thierry Bouts ne manqua pas une seule procession[2]. Il fut, à cet égard, un fonctionnaire accompli.

La Commune, tout de suite, lui demanda un ensemble de peintures destinées à décorer l’admirable hôtel de ville qui venait d’être achevé. Trente ou quarante ans auparavant les échevins de Bruxelles avaient fait exécuter des tableaux de justice par Roger van der Weyden ; les magistrats de Louvain s’inspirèrent de cet exemple et le 20 mai 1468 firent commande au maître : 1o d’un Jugement dernier en forme de trip-

  1. Allniederländische Malerei, p. 106.
  2. Cf. Van Even. Ancienne École de peinture, p. 117.