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en wel belaelt ah van den werc dai ic gemaecl hebbe den Heilichen Sacrament[1]. Le polyptyque devait faire l’objet d’une admiration unanime. En 1878 on l’abrita dam une niche couronnée d’une chapelle, à jour où fut placée une statue de la Vierge taillée par Antoine Keldermans et son fils. Quelle merveilleuse unité gardaient alors les conceptions décoratives et quel infaillible guide la foi était pour le génie !…

La Cène est une des œuvres les plus profondes, les mieux peintes du XVe siècle, et si l’on dressait une liste des cinq ou six chefs-d’œuvre suprêmes de nos primitifs, il faudrait l’y comprendre. Le peintre nous introduit dans une belle salle gothique où s’ouvrent d’autres salles. Au centre, la table du dernier banquet. La disposition et l’attitude du Christ et des apôtres sont conformes aux traditions observées dans les représentations des anciens mystères. Le Christ a devant lui un calice et tient, de la main gauche, l’hostie qu’il bénit de la dextre. Tel était son geste dans les « représentations » de la Cène. Deux apôtres sont placés de chaque côté du Sauveur ; trois autres disciples se rangent le long des côtés étroits de la table. Saint Philippe et Judas sont en face du Christ. Cette ordonnance est également empruntée à la dramaturgie médiévale. Ces transpositions d’une scénographie rituelle ne nuisent en aucune façon à l’originalité de la composition. Les détails sont peints avec une fidélité qu’aurait enviée le Maître de Flémalle. Et quelle émotion vraie dans les figures ! Derrière le Christ, un serviteur — ou peut-être l’hôte ? — se tient debout les mains pieusement jointes, et près du buffet est un autre personnage en qui l’on a cru — mais sans preuves — reconnaître le peintre lui-même. Dans l’encadrement d’une étroite fenêtre apparaissent encore deux jeunes gens qui seraient les fils de Bouts : Thierry et Albert. Toutes les têtes — celles des augustes participants du festin mystique, et celles des simples bourgeois qui contemplent la Cène, respirent la vérité et la ferveur[2]. Tous ces hommes sont très près de la vie et en même temps très près de Dieu, — et le Christ avant de les quitter a voulu, plus que jamais, être semblable à eux. De là une unité étroite dans l’expression et une élévation saisissante du sentiment. C’est avec raison que l’on a dit de la Cène qu’elle était, après l’Adoration de l’Agneau, le type même de l’image de dévotion.

Et quelle éloquence plus vive encore et plus ample devait se dégager de

  1. Cf. texte et traduction dans Alph. Wauters : Thierri Bouts ou de Harlem et ses fils, p. 16 et suiv. Dans la même brochure p. 18, voir les renseignements sur la présentation décorative de la Cène.
  2. Dans sa belle description de la Cène, M. Paul Heiland : Dirk Bouts und die Hauptwerke seiner Schule, Stilkritischer Versuch, Stein, Strasbourg 1902) remarque que les corps longs, minces, montrent des épaules tombantes et faibles parfois des cous musculeux. Malgré des différences individuelles, les figures ont entre elles un grand air de famille (p. 9). Le Christ est seulement un peu plus grand que les apôtres ; le regard de ceux-ci est limité par le cadre de la composition, tandis que les yeux du Sauveur fixent un objet hors du tableau et contemplent l’Infini (p. 11).