Page:Fierens-Gevaert - La Peinture en Belgique, volume 1.djvu/164

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pierre des messes en l’honneur des trois saints représentés dans l’œuvre de Bouts ; Érasme, Jérôme et Bernard. Les personnages de la scène centrale sont disposés en croix, avec une symétrie sculpturale et une régularité archaïque. Mais le tempérament du maître se révèle dans la qualité morale de l’interprétation. La scène pouvait être horrible ; le saint est étendu le ventre ouvert et deux bourreaux dévident ses entrailles au moyen d’un tourniquet… Mais Thierry Bouts n’y met ni la barbarie d’un Jean Malouel ou d’un Henri Bellechose peignant la Décapitation de saint Denis, ni la virtuosité presque scientifique avec laquelle Gérard David détailla plus tard l’écorchement du juge prévaricateur. Pas de sang, pas de violence, pas l’ombre de pathos. Malgré sa position épouvantable, saint Érasme garde un calme profond et son visage tranquille exprime la pureté de sa vie et la beauté sublime de sa mort. Quelques personnages élégants assistent au supplice, et c’est moins l’atrocité du martyre qui agit sur leur âme que le charme du site environnant où l’on a voulu reconnaître les Kessel-Bergen et les Roessel-Bergen, collines et rochers des environs de Louvain. Cette noblesse des expressions, nous la retrouvons dans les figures de saint Jérôme, vêtu en cardinal, et de saint Bernard portant l’habit de son ordre ; on peut dire même que les draperies participent de ce calme intérieur ; jusqu’à la fin de sa carrière, d’ailleurs, Thierry Bouts sera fidèle à un système de plis où les cassures multipliées de la tradition eyckienne s’opposent souvent à des plis graves, lents, harmonieux, presque classiques. Mais la grande originalité, et l’on peut dire la beauté essentielle du Martyre de saint Érasme sont, comme on l’a remarqué avant nous[1], dans l’espèce de notion du plein-air qu’on y découvre. Le Maître de Flémalle, dans certaines de ses œuvres, avait pressenti le rôle de la couleur comme élément de vie ; Thierry Bouts en a la révélation sinon décisive, du moins très prononcée. La couleur cesse de frapper uniquement par sa pureté et son éclat ; les tonalités vont insensiblement incliner à des souplesses et à des discrétions où se peuvent lire de délicates intentions morales.

En 1464, Thierry Bouts s’engagea par contrat à exécuter, pour l’autel du Saint-Sacrement de l’église collégiale de Louvain, un polyptyque très important dont seule la partie centrale, la Cène, (Fig. LI) est conservée dans l’église Saint-Pierre, près au Martyre de saint Érasme. Ce retable du Saint-Sacrement a été morcelé à une époque inconnue ; deux volets sont à Berlin, les deux autres à Munich. Thierry Bouts l’acheva en 1468. On a retrouvé, dans les archives de l’église Saint-Pierre, une cédule par laquelle le maître se déclare entièrement satisfait et complètement payé de l’œuvre. Le précieux document est écrit et signé de la main de l’artiste : le Dieric Bouts kenne mi vernucht

  1. Karl Voll. Altniederländiche Malerei.