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van Eyck et maître Roger sont donc tous deux rappelés dans ce panneau. L’autre volet — une pure merveille — représente sainte Barbe, en robe de brocart, couverte d’un grand manteau vert mousse ; ses cheveux d’or, son visage arrondi sont caractéristiques au plus haut point. La lumière, déjà savamment distribuée, fait songer à certains maîtres allemands de cette époque — Conrad Witz, par exemple[1]. Voici donc une nouvelle trace de germanisme dans l’art du Maître de Flémalle ; si nous nous souvenons de la nature de son coloris, de la qualité plastique de son modelé, de la présence d’un donateur allemand dans une de ses œuvres et d’un blason allemand dans l’Annonciation de Merode, nous devons en conclure que l’artiste a séjourné en pays germain, qu’il y a subi des influences ou bien que sa forte personnalité y a déterminé quelques-unes des particularités constituant le génie même de la peinture allemande.

C’est à l’ancienne maison des Chevaliers de Jérusalem, à Flémalle, au pays de Liège, que se trouvait originairement, croit-on, l’ensemble désigné sous le nom de Retable de la Vierge et dont les importants fragments, — la Vierge, sainte Véronique, une Trinité en grisaille — sont aujourd’hui à l’Institut Slaedel de Francfort. La Vierge et sainte Véronique, de grandeur naturelle, étaient tenues jadis pour des œuvres de Roger van der Weyden ; par la largeur de la conception, le style grandiose des draperies, la noblesse et la spiritualité des physionomies, ces figures solennelles s’inspirent en effet du lyrisme surhumain de maître Roger. La Vierge toutefois conserve encore des signes d’archaïsme et l’enfant nous ramène aux créations de Beauneveu et Jacquemard de Hesdin. Mais dans tout l’œuvre du Maître de Flémalle, rien n’égale cette figure « au point de vue de la piété, au point de vue de l’âme ». Ce n’est plus ici la jeune femme un peu placide du retable de Merode, ni la jeune mère opulente et tranquille du tableau de Somzée, ni la Madone très humaine que le Maître de Flémalle peignait dans ses scènes variées et pittoresques de la jeunesse de Marie. C’est une grave, sublime et surnaturelle figure. Pour Huysmans, un abîme sépare la Madone allaitant l’Enfant-Jésus du Musée de Francfort, de la Madone allaitant l’Enfant-Jésus de la galerie Somzée, et « l’abîme est tel qu’il a fallu un coup de la grâce pour le combler. À parler franc, il y a entre ces deux Vierges la différence qui s’avère entre une matrone pieuse et riche, très fière d’occuper un prie-Dieu de choix dans son église et une sainte vivant de la vie contemplative dans un cloître[2] ». Marie est ici plus qu’une femme, en effet ; mais elle est aussi plus qu’une sainte. Elle est reine, et ce sont les douleurs pressenties, dissimulées, et pourtant sensibles sur son pur visage qui lui confèrent la royauté du ciel.

  1. Cf. K. Voll. Altniederländische Malarei.
  2. J.-K. Huymans. Trois primitifs. Paris, 1905, p. 93.