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une rue claire et gaie, — et l’on s’attend à ce qu’un des promeneurs qui animent l’admirable site urbain vienne acheter à saint Joseph son ingénieuse petite machine… Chaque partie du triptyque est traitée comme un tout ; on peut faire d’ailleurs la même remarque au sujet des œuvres de Roger van der Weyden ; mais celui-ci réalisait dans ses retables un organisme puissant que l’on ne retrouve point chez son soi-disant condisciple et compatriote. Est-ce à dire que le Maître de Flémalle n’ait fait accomplir aucun progrès à la peinture néerlandaise, qu’il ne soit qu’un admirable technicien et un spirituel metteur en scène ? Il a certainement apporté une solution nouvelle au problème de l’espace, et comme perspectiviste il surpasse Roger van der Weyden. Il suffit de regarder le volet, représentant saint Joseph ; il suffit aussi d’un coup d’œil sur sa Madone dite de Somzée (aujourd’hui dans la collection Salting) pour ne plus avoir de doute à cet égard.

On connaît cette Madone Somzée pour l’avoir vue et admirée à l’exposition de 1902. La Vierge, tenant l’enfant dans ses bras, est assise sur un escabeau, à côté d’une sorte de crédence richement sculptée — et tout de suite nous reconnaissons la Madone du retable de Merode. Par une fenêtre, à droite, on aperçoit une ville emmuraillée, d’un caractère nettement eyckien, — comme la rue qu’on aperçoit au fond de l’échoppe de saint Joseph. Un sentiment d’intimité profonde règne dans cet intérieur où Marie est assise d’une façon toute conventionnelle, devant son escabeau plutôt que dessus. Les moindres objets semblent vivre et la chambre est pleine de réalité et de profondeur. Mais, chose singulière, les sculpturales figures n’ont pas l’air d’appartenir à leur milieu ; elles n’ont point de relation avec l’atmosphère qui les entoure ; elles restent abstraites en leur dessin ferme, leur coloris sévère, monotone et si éloigné de l’idéal flamand…

Signalons tout de suite qu’un groupe important de Madones est attribué au Maître de Flémalle. La plus célèbre est la Vierge de l’Institut Staedel dont nous reparlerons ; puis vient la Madone Somzée, et ensuite la Vierge glorieuse d’Aix-en-Provence exécutée pour l’abbaye d’Eaucourt-en-Artois. Cette dernière est de petites dimensions ; assise d’une manière assez bizarre, en plein ciel, sur un banc sculpté, tenant l’enfant sur ses genoux, elle ressemble à la Vierge de Somzée, mais elle est plus avenante. À ses pieds, sur la perspective d’un paysage un peu flou, se détachent le donateur, saint Pierre et saint Augustin. La facture caressée et l’esprit trop gracieux de l’œuvre révèlent une main d’élève. Les autres Madones qui font songer au Maître de Flémalle sont à Saint-Pétersbourg, à Richmond (coll. Cook), à Turin. Une petite Vierge, du Musée de Bruxelles (Fig. XLIX), peinte vers 1440 sur fond rouge, n’est point sans quelque affinité avec l’art à la fois robuste et familier du peintre de l’Annonciation