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Revenons à la Déposition du Musée de Bruxelles. Voici ce qu’en pensait M. Hulin de Loo en 1902 : « Ce tableau important est le chef-d’œuvre de Petrus Christus. L’attribution à celui-ci s’impose par la comparaison avec le saint Éloi… Cependant il s’écarte notablement des œuvres du même maître à Berlin, Copenhague[1] et Francfort. L’explication du fait se trouve dans la nature impressionnable et dépendante de Petrus Christus. Là-bas il imitait les frères van Eyck ; ici il imite surtout Dieric Bouts,… on remarque aussi quelques réminiscences de Roger van der Weyden… Ce tableau doit dater de 1460 ou des années suivantes, à en juger par l’homme debout, dont la tête rasée entièrement rappelle l’édit de Philippe le Bon, de 1468, prescrivant aux nobles ce mode de coiffure à la suite d’une maladie qui l’avait obligé lui-même à se raser la tête. Il est donc de la fin de la carrière de Christus. » Ces remarques sont extrêmement ingénieuses ; on peut ajouter avec M. Jacobsen[2] que le vaste paysage ondulé de notre Déposition présente une grande analogie avec celui d’un tableau conservé à Wörlitz et ajouté par certains critiques au catalogue de Christus. Et pourtant de nouvelles attributions sont proposées pour le chef d’œuvre anonyme de Bruxelles. À quoi bon les énumérer puisque demain peut-être en verra la révision ! Une fois de plus contentons-nous d’admirer. Le XVe siècle flamand compte peu d’œuvres aussi nobles, aussi harmonieusement émouvantes. On n’y surprend aucune violence, aucun éclat imprévu, aucun effet excessif. La simplicité de l’ordonnance, l’importance individuelle des types, la douceur rythmique du paysage rapprochent l’auteur de certains maîtres italiens — la figure féminine de gauche évoque l’orientalisme d’un Gentile Bellini — et forment le contraste le plus absolu avec la manière de Christus. La Vierge affaissée est sûrement inspirée de la Marie créée par Roger van der Weyden pour sa Descente de Croix de l’Escurial ; peut-être son calme la rapproche-t-elle plus du ciel… D’ailleurs toute l’œuvre semble d’un maître qui aurait profité des enseignements de Roger van der Weyden et surtout de Thierry Bouts pour les unir par le charme d’un génie épris de noblesse, de douceur, de rythme, et l’on serait tenté — bien plus ici que devant le triptyque des Sforsa — de songer à quelque disciple italien ou français de nos maîtres, si dans les replis des jolies collines du fond, entre saint Jean et l’homme rasé à la bourguignonne, on ne découvrait un village flamand, aux toits aigus, groupés en tas, près d’un château crénelé très semblable, il faut l’avouer, à ceux qu’on découvre à Berlin dans le ravissant paysage de la Nativité.

  1. M. Hulin attribue à Petrus Christus le Donateur avec saint Antoine conservé au Musée de Copenhague et attribué par M. Wesle à Hubert van Eyck.
  2. Emil Jacobsen. Quelques Maîtres des vieilles écoles néerlandaise et allemande à la Galerie de Bruxelles. Gazette des Beaux-Arts. Octobre et novembre 1906.