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l’Extrême-Onction. Les diverses scènes se déroulent simultanément dans les bas-côtés de l’église ; au-dessus de chacune d’elles un ange laisse flotter un phylactère. Tandis que le panneau central transpose l’émotion la plus haute, — avec la saisissante profondeur de son décor ajouré, les lignes rigides de la croix montant aux voûtes, l’ampleur pathétique du drame évoque à l’entrée de l’église et l’espace immense figuré derrière le Christ sublime, un Christ d’infinie douleur et d’infinie protection, — les panneaux latéraux, plus petits d’un tiers environ, affectent presque des allures de tableaux de genre et, en tous cas, introduisent l’humanité réelle dans les scènes religieuses, mettent l’œuvre symbolique presque au service des représentations de la vie contemporaine.

Nous ne sommes pas les premiers à remarquer que Roger van der Weyden apporte ainsi à la peinture néerlandaise un élément inédit d’expression et de beauté. À la faveur des tendances naturalistes de la mystique flamande du XVe siècle et sans rien abdiquer de son lyrisme et de sa piété, le maître matérialise les grands symboles religieux en nous montrant toute l’existence d’un de ses contemporains depuis la naissance jusqu’à la mort[1]. Les scènes de genre qui n’apparaissaient que timidement dans les lointains du Retable de saint Jean prennent plus d’importance et se revêtent néanmoins d’une beauté nettement symbolique. Il fallait le génie de Roger van der Weyden pour harmoniser de la sorte les réalités de la vie et de la foi. Le maître pouvait avoir environ cinquante-cinq ans quand il exécuta ce triptyque des Sept sacrements ; l’ancien cadre porte trois fois les armes de l’évêché de Tournai et trois fois celles de Jean Chevrot, évêque de Tournai de 1437 à 1460. C’est sous les traits de ce prélat qu’est représenté l’évêque qui dans le panneau de droite donne la confirmation. Il y a donc tout lieu de croire que la commande du retable fut faite à Roger par l’évêque de sa ville natale et cela au moment où le pourtraiteur de Bruxelles atteignait la suprême maîtrise. Le triptyque a voyagé et a essuyé sans doute bien des désastres avant le jour où le chevalier van Ertborn l’acheta à Dijon aux héritiers de Pirard, dernier « premier président » du Parlement de Bourgogne, en 1826. Quelques têtes sont repeintes (voyez le sacrement du baptême) et contrastent par leur modelé mou, leurs tonalités brunes avec la facture nette et le coloris transparent des visages respectés. Mais le coloris dans l’ensemble a gardé son caractère original, celui-là même que nous avons tenté d’analyser en parlant du Jugement dernier, et c’est une joie sans fin devant le retable de l’évêque Chevrot comme devant le polyptyque du chancelier Rolin d’écouter vibrer doucement les rouges, les bleus, les violets, les blancs des manteaux, chasubles et robes angéliques, chantant leurs notes pures sur la trame harmo-

  1. Cf. K. Voll qui croit que le tableau du Musée d’Anvers est une belle réplique d’un original perdu.