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parlent d’un brabançon, Pierre de Bruxelles, qui habita Paris sous Philippe le Long. Il passa en 1320 avec le garde de la prévôté de Paris un marché par lequel il s’engageait à décorer une galerie du château d’Artois à Conflans.[1] Et ce contrat renferme deux causes remarquables : 1° la peinture devait être à l’huile ; 2° elle comprenait des portraits de chevaliers recouverts d’armures et toute une flotte évoquant le souvenir d’une expédition du comte d’Artois en Sicile. Des portraits ! Une marine ! Voilà bien le signalement d’une œuvre moderne. Qu’importe dès lors l’inauthenticité des fresques de la Leugemeete, puisque Pierre de Bruxelles s’offre à nous en France comme le premier champion de l’idéal nouveau. Longtemps après, entre 1356 et 1360, un peintre français exécutera ce fameux portrait de Jean le Bon, exposé récemment au Pavillon de Marsan, œuvre intéressante sans nulle doute, mais que je crois fortement retouchée (la draperie fut sûrement repeinte), œuvre sommaire et dans laquelle on a voulu admirer à tout prix les miracles d’un pinceau « libre, hardi, viril », d’un art impitoyablement sincère !

Nous allons en effet trouver quelques uns de ces mérites chez un maître de notre race, Bandol ou Baudol, qui signe Johannes de Brugis, Jehan ou Hennequin de Bruges et qui fut « peintre et varlet de chambre de Monseigneur le roy Charles V. »[2] Jean de Bruges aurait pris le titre de pictor regis en 1373. On suit les traces de son activité jusqu’en 1378. Cité une vingtaine de fois dans les comptes de Charles V et dans ceux des frères du roi, les ducs d’Anjou et de Berry, on ne sait rien des travaux qu’il aurait pu exécuter en Belgique. Aucun de ses tableaux ne nous est parvenu. Toutefois il nous reste deux œuvres capitales pour le juger. En 1373 il peignit sur le premier feuillet d’une Bible historiée conservée aujourd’hui au musée Westreenen à La Haye, le portrait de Charles V recevant la Bible de son valet de chambre Jean de Vaudetar. Pour plaider les mérites de cette peinture flamande exécutée en France, je puis me contenter de citer l’excellente description de M. Paul Mantz : « Charles V… est coiffé d’une sorte de bonnet du matin et son humble robe est celle qu’il devait porter dans sa librairie du Louvre. Une tenture semée de fleur de lis sert de revêtement à la muraille. Le roi est de la laideur la plus ressemblante. Cette

  1. Dehaisnes : Op. cit. 415.
  2. Cf. Dehaisnes : Op. cit. ; Paul Mantz, La Peinture française ; A. J. Wauters, La Peinture flamande, p. 26.