Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 214 —

faire vivre l’ensemble d’une âme unique qui reflétât le monde de beautés nouvelles qu’il apercevait lui-même dans l’infini de la nature et de l’art. Il est impossible que Jean Van Eyck au bout de six ans n’ait pas marqué le chef-d’œuvre entier de son sceau.

Si grande que soit ma conviction sur l’intervention respective des deux frères, j’ai trop éprouvé au cours de cette analyse les incertitudes, les lacunes d’une enquête qui dépasse mes forces, pour ne point souhaiter de nouvelles lumières sur un problème si passionnant. Les deux noms, au surplus, sont indissolublement unis dans la gloire du chef-d’œuvre : Hubertus incepit : Johannes perfecit. Et ce qui, après tout, domine ici les problèmes archéologiques, c’est la leçon de Beauté et de Vérité à laquelle nous convie l’Autel de Judocus Vydt.

La peinture de retables avait produit peu d’œuvres dans les Flandres ; les miniatures étaient réservées aux gens riches ; l’enseignement des vitraux était peu intelligible ; on ne cultivait guère la peinture murale dans nos provinces. Et soudain paraît ce chef-d’œuvre, poème des plus chères croyances de la race, Évangile des peintres flamands, aurore éternellement lumineuse de l’art moderne.

Voici fixée à jamais la richesse de la Flandre du XVme siècle. Luthiers, armuriers, joailliers, brodeurs, tisseurs, céramistes, huchiers, architectes, dinandiers, orfèvres, tapissiers de Monseigneur Philippe ont apporté, semble-t-il, leur concours aux peintres du Retable et viennent témoigner de l’habileté, du goût, de la loyauté d’exécution qui sont l’honneur des métiers de Flandre. Toute la somptuosité de la cour bourguignonne s’incarne dans ces Chevaliers et ces Juges, parés de damas et de samit pour quelque solennelle ambassade. Mais à travers tant de luxe, ce que notre esprit se plaît à découvrir et à recréer, c’est une gamme infinie de sentiments. La Flandre croyante est là sous ces aspects divers : humilité, énergie, contemplation, extase, repentir. La nature participe à cette ivresse religieuse ; mais par-dessus la nature, par-dessus les êtres et les choses, Dieu règne.

Le Retable de l’Agneau est plus que le chef-d’œuvre d’une école et d’une race ; c’est le plus grand acte de foi que connaisse l’histoire de l’art. Il résume les courants internationaux de la beauté au début des temps modernes, mais en même temps il fixe nos doctrines religieuses. Si la