Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/273

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 213 —

l’année 1424 et apporte immédiatement sa collaboration au polyptyque. Il achève le paysage du panneau central et s’il ne conçoit pas les figures supérieures sûrement ici encore il intervient avec son entente unique du modelé et du coloris. Les deux frères sans aucun doute ne cessaient d’être aidés par des élèves ; ceux-ci peignaient les accessoires dessinés par les maîtres, et ne laissaient pas d’avoir des accents de génie dans l’atmosphère d’émulation que l’on s’imagine aisément.

Malgré la réputation que la commande du polyptyque devait valoir à Hubert, c’est Jean qui entre au service de Philippe le Bon ; il est dès ce moment le plus célèbre des deux frères ; seul il est capable d’achever l’œuvre gigantesque. Hubert meurt en 1426. À ce moment sans doute Jean travaille à certains panneaux détachés, ceux des Anges musiciens et chanteurs par exemple, si parents de l’Ange qui figure dans l’Annonciation de St-Pétersbourg. Le cadet part pour le Portugal. Voici le Retable interrompu ; mais ce voyage nous a appris à quel point l’artiste travaillait rapidement. Il revient, s’installe à Bruges et de même que Rubens revient de son voyage diplomatique en Espagne avec sa manière définitive, de même Jean Van Eyck, rentré dans les Flandres, commence sa véritable carrière. Elle s’ouvre par l’achèvement du chef-d’œuvre. Le maître reprend le paysage des Ermites et des Pèlerins, et montre qu’il a pris des croquis sinon en Andalousie ou à Grenade, du moins à Lisbonne et dans les environs. Quelques petites besognes pour la Cour l’éloignent à peine du Retable. Il peint avec ses élèves la partie extérieure et tout prouve que les figures d’Adam et Ève et les portraits de Judocus Vydt et de sa femme sont entièrement de sa main.

Récapitulons. L’Agneau Mystique, les Chevaliers, les Juges, les Ermites, les Pèlerins sont de l’aîné, sauf la plus grande partie du paysage ; on peut accorder aussi à Hubert la conception des trois grandes figures de Dieu le Père, de saint Jean-Baptiste et de la Vierge que Jean acheva. Tout le reste est l’œuvre du frère cadet : les Anges chanteurs et musiciens, Adam et Ève, les volets extérieurs[1]. Enfin, le grand mérite du cadet consiste surtout dans l’unification du chef-d’œuvre. Après la mort de son frère, le polyptyque resta dans son atelier pendant six ans ; il ne se contenta point d’achever tel panneau, de peindre telle figure. Il voulut

  1. Nos conclusions se rapprochent beaucoup de celles de M. M. Dvorak, dont le remarquable et tout récent travail : Das Raetsel der Kunst der Brüder Van Eyck n’a pu être consulté par nous à la Bibliothèque de Bruxelles que quatre mois après la date (décembre 1904) où nous avions fait part à nos élèves de Bruxelles et de Liège de notre conviction au sujet du Retable.