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à la fin du règne de Charles VI et pendant la domination anglaise. »[1] La Bourgogne échappa seule à la dévastation. La Renaissance, constatée par Renan, Viollet-le-Duc, puis Courajod, voyait son élan arrêté dans le centre ; comme une plante vigoureuse et qui veut vivre, elle porta ses branches ailleurs. Elle alla fleurir dans le Berry, à la cour de Jean le Magnifique, et en Bourgogne. À Dijon elle produisit des chefs-d’œuvre ; ceux du Hollandais Claes Sluter. Flamands et Wallons avaient incarné, sinon créé, la première Renaissance des Valois ; Claes Sluter incarne la Renaissance bourguignonne. Pendant le XIVe siècle, à droite, à gauche, et à Paris plus qu’ailleurs, les maîtres avaient cherché, tâtonné, lutté vaillamment. Un génie surgit et soudain l’idéal des temps nouveaux s’inonde de lumière. L’ère des recherches est passée. Grâce à Sluter, la révolution septentrionale triomphera désormais dans l’Europe entière et ralliera les Italiens eux-mêmes, Pisanello, Jacopo della Quercia, Donatello.

Pourtant, quelque chose manquait à la gloire des communes belges. Elles avaient envoyé les prophètes de l’art nouveau à Paris sous les Valois ; ses souverains légitimes régnaient sur cette Bourgogne d’où rayonnait le génie de Sluter. Mais elles assistaient de loin à toute cette gloire ; sur le sol belge, aucun génie complet, suprême, ne proclamait la richesse de notre race, son amour des couleurs, sa passion esthétique des pierres précieuses et de l’or. Alors, le soleil se leva à l’est de notre pays, dans la principauté de Liège, et embrassant tout notre sol dans son orbe magnifique, se coucha à l’ouest, dans les splendeurs inoubliables de Bruges. Et l’astre des Van Eyck étincela sur le monde…

Gardons-nous de l’esprit de clocher, répètent les érudits, qui, d’ailleurs, pratiquent ce noble détachement avec une extrême rareté. Et, par parenthèse, le patriotisme n’est pas l’ennemi ; il contribue à l’exaltation des œuvres ; il répand l’amour de la beauté, qui vaut peut-être mieux que l’intelligence de l’art. Toutefois, nous avons loyalement signalé les points faibles d’une doctrine flatteuse qui fait de nos ancêtres les précurseurs de l’art moderne. Une analyse très superficielle de notre génie national montre à l’évidence que si notre école fut réaliste dans son ensemble, elle ne le fut point avec cette constance, cette fatalité que l’on dit. Notre art du XIIe et du XIIIe siècle fut comme tout l’art médiéval soumis à des conceptions synthétiques et pénétré d’idéalisme. Peu d’œuvres du XIVe siècle, conservées dans notre pays, trahissent cette « curiosité passionnée de la nature » qui révo-

  1. Courajod : Leçons, vol. II, p. 12.