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de faire mouvoir le pupitre ; son geste en découvrant le revers de sa chape, introduit parmi les sinuosités des orfrois, les reflets du velours, les entaillures du meuble et les étincelles des bijoux, un pli triangulaire, rigide, droit, austère, — un pli de génie — qui communique à la composition une stabilité suprême.

Et malgré tous ces trésors rien dans ce panneau ne captive autant que la physionomie pure des chantres divins, physionomie dont on ne saurait dire si elle est virile ou féminine tant la virilité en est délicate et tant la grâce en est robuste. Elle dégage un sentiment de beauté idéale, platonicienne, et pour dire exactement, classique ; les anges de Luca della Robbia ne seront pas très différents de ceux de Jean Van Eyck — j’écris spontanément le nom du cadet — et c’est à quelque source inconnue de beauté antique, recueillie par la statuaire du XIVe siècle, que les Anges chanteurs du Retable doivent peut-être la sculpturale pureté de leurs visages.

Au céleste concert vocal va répondre le concert des instrumentistes divins.

Un ange — désigné à tort comme étant sainte Cécile — s’absorbe dans le charme prolongé des notes de l’orgue. Peut-être accompagne-t-il les anges chanteurs, peut-être joue-t-il un prélude ? Les autres instrumentistes attendent leur entrée et celui qui joue delà vielle est si profondément attentif que le joueur de harpes semble vouloir le tirer de son rêve…

L’orgue est placé presque de face ; plat, légèrement évasé par le bas, son seul motif ornemental est une petite frise qui sépare le clavier du sommier. Mais les vingt et un tuyaux placés par ordre de grandeur de droite à gauche, brillent comme de grands rayons argentins. L’instrument est assez perfectionné, semble-t-il ; le registre situé à gauche, un peu au-dessous du clavier, suppose en effet l’existence d’un second jeu ; et cette forme de l’orgue — un buffet rectangulaire avec tuyaux disposés d’une manière symétrique — a fourni l’orgue dit positif ou d’appartement, demeuré en usage jusqu’aux premières années du XIXme siècle. — La harpe est probablement l’instrument que Praetorius[1] appelle harpe ordinaire, par opposition à la grande harpe double et à la harpe dite irlandaise ; elle a vingt-quatre cordes — exactement le chiffre indiqué par Praetorius ; c’est, par excellence, la harpe portative que l’on désignera

  1. Praetorius. Teatrum instrumentorum, pl. XVIII, fig. I.