Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 192 —

ajoute à l’émotion. Le chef-d’œuvre en s’épanouissant nous découvre son âme et tout de suite des flots de beauté et de vie nous inondent et nous ravissent en esprit…

Le Retable glorifie le vaste et profond mystère de l’Agneau et résume les doctrines dont l’Immolation et la Résurrection de Jésus-Christ sont le centre. Le christianisme ne connaît pas de plus haut symbole ; il réunit à la fois l’idée du sacrifice de Dieu et celle de sa victoire, il contient l’histoire de la chute des hommes et de leur rédemption, il s’offre comme un enseignement perpétuel d’ineffable bonté et de sacrifice de soi à ceux que le Seigneur a désignés pour établir son règne ici-bas.

Le thème du chef-d’œuvre n’offre aucune obscurité symbolique. Il est fourni par l’Apocalypse qui prophétise la victoire de l’Agneau et le triomphe de l’Église et complété par les textes de la Fête de tous les Saints. Les visions de saint Jean, les psaumes, hymnes, capitules qui célèbrent les héros de l’Église sont traduits sous une forme très claire qui ne s’est point attachée à l’interprétation littérale, qui a simplifié le sujet en l’élargissant et qui a fini par grouper avec un maximum d’intensité plastique toutes les idées chrétiennes autour de l’Agneau Pascal. Dans le ciel rayonnent Dieu le Père, Marie protectrice des serviteurs du Christ, Jean-Baptiste le précurseur de l’Agneau, les anges qui chantent la gloire éternelle de Dieu. Et voici Adam et Ève, tronc des innombrables branches humaines. Leur faute a jeté l’humanité dans le crime et la détresse. Mais le sang rédempteur a coulé ; l’Agneau est venu ; il a triomphé. L’hommage de la Terre et du Ciel entoure sa divinité. Anges, Archanges, Dominations, Principautés et Puissances, Vertus des deux, Chérubins et Séraphins, Patriarches et Prophètes, saints Docteurs de la loi, Apôtres, Martyrs rougis de leur sang, saints Confesseurs, Vierges du Seigneur, Anachorètes, Cohortes célestes[1], Chevaliers de la

  1. V. Hymne et Magnificat de la Fête de tous les Saints. M. Max Dvorak dans son remarquable travail : Das Raetsel der Kunst der Brüder Van Eyck rapporte une tradition bien curieuse que les Van Eyck ont sûrement du connaître puisqu’elle est rapportée par la Légende dorée (Cf. Jacobi a Voragine Legenda aurea, éd. Graisse, 1846, p. 727.) Un gardien de la basilique de St-Pierre s’étant endormi après avoir fait sa ronde de nuit vit en songe Dieu le Père assis sur un trône et à ses côtés un chœur d’anges « omnes angelos in circuitu morantes ». À la droite du Seigneur trônait la Madone « virgo virginum cum dyademate præfnlgenti » et à sa gauche Jean-Baptiste vestitus pilis camelorum. » Vers le trône se dirigeaient « innumerabilis multitudo virginum, multitudo venerabilium seniorum, cohors in habitu pontificali. Postea processit innumerabilis multitudo militiæ, demum advenit turba diversarum gentium infinita. » Après Saint-Pierre montre au gardien le purgatoire… C’est comme une ébauche de l’Adoration de l’Agneau… sans l’Agneau, Cette histoire était sûrement courante au moyen âge où tout le monde connaissait la Légende dorée, et nous prouve une fois de plus que les Van Eyck ont mis en œuvre des traditions très répandues. Cf. Dvorak, op. cité. Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des allerh. Kaisershauses. t. XXIV. fasc. 55, p. 253.