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qu’ils ont encourue. » Le vicaire général J. le Surre répondit le 7 juillet par une longue missive que le chanoine Van den Gheyn publie et commente. C’est un document d’une extraordinaire valeur pour l’histoire du goût esthétique. Les marguilliers, comme administrateurs en service d’activité, avaient droit, assure le vicaire général, de vendre ces volets « espèce de fermeture antique, quoique fort disgracieuse. » À quoi bon garder ces débris ? D’ailleurs les Français survenant dans le pays avec leur « agence de commerce et approvisionnement pour l’extraction en pays conquis des objets de sciences, arts et agriculture », les avaient abandonnés « comme chose de peu de valeur. »

Le vicaire oubliait que l’intervention de Mgr de Beaumont avait sauvé ces débris et qu’on les avait remisés dans un magasin attenant à la salle capitulaire pour les protéger contre de nouvelles convoitises. Le singulier plaidoyer de J. le Surre nous apprend ensuite qu’il s’écoula quelque temps avant que la « fermeture » fût replacée sur l’autel. Enfin en 1816 le polyptyque était reconstitué. Mais dès 1815 l’idée avait germé dans l’esprit des marguilliers de vendre les volets « à un prix honnête en Angleterre. » On s’adressa à un marchand d’Ostende, appelé Van Iseghem qui ne trouva point l’amateur espéré. On fut plus heureux d’un autre côté. Un chanoine de Saint-Bavon qui avait quitté Gand pour habiter Bruxelles, connaissait dans cette ville un marchand de tableaux appelé Nieuwenhuys, un hollandais doué d’un flair artistique surprenant[1], mais antiquaire sans scrupule et véritable écumeur d’églises. Informé de l’occasion qui s’offrait, Nieuwenhuys finit par consentir à donner mille francs par volets (les marguilliers eux-mêmes avaient fixé le chiffre), à la condition que les peintures lui fussent livrées dans les 24 heures.

Les marguilliers acceptèrent. Tout de même le vicaire général fut pris d’une sorte de scrupule et voulut avoir l’avis des hommes compétents. Il s’adressa à deux collectionneurs gantois pour avoir leur opinion sur la valeur des panneaux. Hélas ! il ne cite pas les noms de ces deux merveilleux connaisseurs dont la science et le « goût » autorisèrent la pire des sottises.

L’un d’eux vint à Saint-Bavon et examina soigneusement les volets remis en place. On lui demanda ce qu’ils pourraient bien valoir. Il répondit en substance qu’ils n’avaient d’autre mérite que leur antiquité et le nom du peintre et qu’un amateur en donnerait bien cent francs pièce ! « On nous offre mille francs par panneau, » répondit le vicaire général. « C’est

  1. On lui doit notamment l’identification des premières œuvres de Thierry Bouts.