Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE IX


Le Retable de l’Agneau.


C’est une coquetterie — n’est-ce pas plutôt un pédantisme ? — de la critique actuelle de ne plus tenir aucun compte de l’opinion du vénérable Van Mander quand il s’agit des frères Van Eyck. Il faut reconnaître pourtant que le bon chroniqueur du Livre des peintres, gagné comme tous ses contemporains aux doctrines romanisantes, avait un mérite considérable en exprimant pour l’Autel de Gand un enthousiasme sans réserve. Il en parle avec exaltation, comme Vasari de la Joconde : « Les artistes, dit-il, en sont frappés de stupeur… Oui l’œuvre dans son ensemble les décourage[1]. » Son maître Lucas de heere cite le Retable avec non moins d’émotion et s’écrie dans son Ode : « Quelle gloire sera celle de Jean Van Eyck ! (à cette époque Jean passait unanimement pour l’auteur principal du chef-d’œuvre) — quelle gloire sera la sienne de ce que toutes ses couleurs n’ont point pâli ! En près de deux cents ans ! Qu’elles tiennent encore ! C’est ce que l’on voit aujourd’hui dans bien peu d’œuvres[2]. » Il y a près de six cents ans que le polyptyque de l’Agneau est peint. On peut répéter la remarque avec non moins d’opportunité et avec une stupéfaction non moins admirative.

L’Adoration de l’Agneau s’enveloppe de mystère. En vain l’érudition la plus subtile et la plus tenace s’ingénie-t-elle à découvrir la part de collaboration des deux frères dans l’exécution du chef-d’œuvre. Les plus grands obstacles contrarient les recherches : l’absence de documents contemporains, la fragilité des traditions orales recueillies par les chroniqueurs du XVIe siècle, les restaurations subies par le chef-d’œuvre qui rendent incertain tout examen technique, enfin la dispersion à jamais déplorable de

  1. Livre des Peintres, éd. Hymans, p. 32.
  2. Ibid. p. 36.