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de Turin, M. Durand-Gréville écrit que Hubert est « le plus doux, le plus souple, le moins sculpteur et le plus peintre des deux frères. »

Calvaire et Jugement dernier de St-Péterbourg, deux volets d’un triptyque dont la partie centrale représentait une Adoration des Mages. Ces compositions, peintes primitivement sur bois, ont été transportées sur toile ; elles proviennent d’Espagne et appartiennent depuis l’année 1845 à l’Ermitage de St-Pétersbourg. Les trois croix du Calvaire, au delà desquelles on aperçoit les tours de Jérusalem, sont entourées d’un groupe épais de cavaliers. Longinus d’un coup de lance perce le sein droit du Seigneur, tandis qu’un autre valet de guerre tend l’éponge trempée de vinaigre. À l’avant-plan saint Jean, la Vierge, les Saintes Femmes. L’architecture du fond, le groupe des Saintes Femmes, le vêtement de certains soldats font penser aux Trois Marie ; les chevaux vus de profil ne sont pas sans analogie avec ceux des Heures de Turin. On croyait reconnaître jadis Marguerite Van Eyck dans la pathéthique figurine aux cheveux dénoués qui s’agenouille à côté de saint Jean, joint les mains en prières et lève vers le Sauveur un visage douloureux. Deux des cavaliers passaient pour représenter Jean et Hubert que la tradition désigne parmi les Juges intègres de l’Adoration de l’Agneau.

Le Jugement dernier de St-Pétersbourg nous montre le Christ entre la Vierge et saint Jean et trônant parmi les Anges et les Élus. Sous l’assemblée céleste s’étendent la terre et la mer d’où ressuscitent les âmes appelées au tribunal divin ; au centre l’archange saint Michel brandissant le glaive, terrasse un démon d’aspect inoubliable. C’est un squelette aux orbites pleins d’ombres. Au-dessus de ses bras et de ses jambes décharnés il étend d’immenses ailes de chauve-souris comme pour protéger les gouffres infernaux, représentés dans la partie inférieure où se tord la chair vouée à la damnation éternelle. Point n’est besoin de souligner l’originalité de cette conception et la hardiesse de la mise en page. Les anges, avec la cassure terminale des robes, ainsi que quelques-uns des élus, évoquent les figures de l’Adoration ; mais dans aucune des œuvres attribuées aux Van Eyck on ne retrouvera les nus convulsés et torturés, qui sont ici noués les uns aux autres et dont Petrus Christus, Roger Van der Weyden, Jérôme Bosch, gardèrent le souvenir.

M. Weale ne classe point ces deux pages importantes parmi les productions de Hubert ; il les attribue à un maître contemporain des Van Eyck. Pour M. Durand-Gréville pas de doute possible. Calvaire et Jugement sont de l’aîné « le plus extraordinaire, le plus hardi, le plus grand des précurseurs flamands. »