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la suite (car tel est le chiffre exact des illustrations exécutées par les frères de Limbourg) nous dirons que dans l’ensemble l’œuvre parcourt l’Ancien et le Nouveau Testament, et nous apparaît comme le poème des gloires célestes et du labeur humain. Dans une des miniatures représentant le Paradis terrestre on voit la Tentation d’Ève, la séduction d’Adam, la condamnation d’Adam et d’Ève et leur exclusion du Paradis. Paysages, figures, disposition des scènes, tout révèle un esprit hardi, une main infaillible. On a trouvé que l’Adam agenouillé ressemblait à un antique de l’école de Pergame, conservé au musée d’Aix ; disons plutôt que le miniaturiste pressent le nu féminin de Jean Van Eyck avec sa figure d’Ève. L’influence italienne est d’ailleurs incontestable ; elle est confirmée par la présence d’un plan de Rome ; dans la miniature de la Purification M. Müntz a reconnu des réminiscences d’une fresque peinte par Taddeo Gaddi sur les parois de la chapelle Baroncelli à l’église Sainte-Croix de Florence.

La partie la plus originale et la plus célèbre des Heures de Pol de Limbourg et de ses frères, c’est le Calendrier où chaque mois surmonté des signes du Zodiaque nous fait assister à quelque scène de la vie champêtre ou seigneuriale : tondaille des moutons, semailles, moissons, fenaisons, cavalcades princières, hallali du sanglier, festins magnifiques. Et la plupart de ces évocations vivantes s’encadrent d’un paysage où des architectures vraies s’exhaussent à l’horizon. C’est ainsi que le mois de mai montre le château de Poitiers, le mois de juin le Palais et la Sainte-Chapelle de Paris, le mois d’octobre le Louvre au temps de Charles VI, le mois de décembre le château de Vincennes. « Tout porte à croire, » dit M. Léopold Delisle, « que nous avons une vue de Mehun-sur-Yèvre dans un autre tableau, où se voit, arborée au haut des tours d’un château, la bannière du duc de Berry ».[1] Nous croyons reconnaître aussi les tours de Notre-Dame de Paris au fond de la miniature des Rois mages.

J’ai plaisir à transcrire une description charmante que nous donne M. Lechevallier-Chevignard de deux des plus célèbres miniatures de Chantilly :

« La page consacrée au mois de juin nous montre avec une rare exactitude tous les monuments compris dans l’enceinte du palais de la Cité,

  1. Léopold Delisle : Le cabinet des livres du Château de Chantilly. Revue de l’art ancien et moderne, 1898. p. 365.