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bienfaiteur. La tête découverte ou cachée sous le capuchon funèbre, ils s’essuyent les yeux, joignent des mains suppliantes, lèvent les bras au ciel, se frappent violemment la poitrine, portent la main au visage comme pour refouler un désespoir sombre. Quelques-uns sont interrompus dans leur lecture et méditent ; d’autres déjà reprennent la page abandonnée. Puis ici et là, des prêtres quêtant pour l’office des morts ou chantant pour l’âme du trépassé ; un évêque le regard levé, officiant avec la mitre, la crosse, la chape ; puis encore des officiers du duc mêlés à cette foule ecclésiastique, — les plourants n’étant pas tous des moines.

L’idée d’entourer l’image du défunt d’un cortège de ce genre apparaît dès le commencement du XIIIe siècle, et M. Kleinclausz a parfaitement établi que cette sculpture funéraire n’est pas une création spontanée des ateliers de Jean de Marville, Claes Sluter et Claes Van de Werve. Le culte des morts, pratiqué pieusement de tout temps en Bourgogne, s’y était manifesté avec une particulière ampleur dans les nécropoles cisterciennes, et quelques monuments — la pierre de Wladislas et le tombeau d’un prince de Bourgogne au Val-des-Choux — contiennent le germe d’où devait sortir le tombeau de Philippe le Hardi. D’autre part, nous l’avons vu, Claes Van de Werve, en acceptant à son tour de diriger l’exécution du cénotaphe, avait trouvé déjà deux figurines de plourants exécutées dans l’atelier de Jean de Marville ou celui de Claes Sluter. Il n’en conserve pas moins le mérite d’avoir dramatisé cette mimique funéraire avec une variété surprenante. Le deuil des moines franciscains de Giotto reste uniforme dans sa tragique simplicité ; les moines du tombier flamand sont émus diversement et leur douleur s’exprime en gestes multiples, sans outrance. Leur action malgré tout, reste collective ; à les voir on croirait entendre « le pas lourd et cadencé d’une marche funèbre. » Détachons trois figurines : au centre, un vieux moine se frappe la poitrine d’une main tandis que de l’autre il serre les grains énormes de son chapelet ; à droite un religieux est arrêté dans sa marche et la dextre levée esquisse un geste étonné ; à gauche un plourant calme, résigné, égrène son rosaire. Ils ont la robe de deuil avec capuchon et camail de gros drap. Remarquons la draperie large, grasse, épaisse et sans lourdeur et qui sait tomber avec simplicité le long du corps, se plisser légèrement sur les bras, se briser en cassures puissantes sur les pieds. C’est le système de Sluter, plus libre et plus familier ; et c’est encore l’école de Sluter qui se perpétue dans ces statures volontiers trapues et tassées.