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Au bout d’une demi-heure environ, on se sépara. L’oncle emmena son neveu : ce dernier, avant de sortir, assura tout bas à Nancy qu’il reviendroit de bonne heure le lendemain, et qu’il rempliroit tous ses engagements.

Jones, qui étoit le moins intéressé dans la scène précédente, fut celui qui la jugea le mieux. Il soupçonna sur-le-champ la vérité : le changement subit des manières de l’oncle, la réserve qu’il montra, sa froideur pour Nancy, n’échappèrent point à son attention. D’ailleurs, éloigner un nouveau marié de sa femme à une pareille heure de la nuit lui paroissoit un procédé si extraordinaire, qu’il ne pouvoit l’expliquer, qu’en supposant que le jeune Nightingale avoit tout découvert à son oncle : et la franchise naturelle du jeune homme, jointe à l’état où le vin l’avoit mis, ne rendoit son indiscrétion que trop vraisemblable.

Tandis que Jones délibéroit en lui-même s’il feroit part de ses soupçons à mistress Miller, on vint l’avertir qu’une femme désiroit de lui parler. Il sortit aussitôt, et prenant la lumière des mains de la servante, il fit monter la personne qui le demandoit. C’étoit Honora. Elle lui donna de si terribles nouvelles de Sophie, qu’il devint à l’instant incapable de toute autre pensée. Son propre malheur et celui de sa chère maîtresse absorbèrent entièrement sa pitié.