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à rendre auprès de sa mère le dernier soupir, déplorant sa cruelle destinée, sans en accuser l’auteur ; entendez votre nom s’échapper de son sein brisé par la douleur ; peignez-vous la plus tendre des mères perdant, avec une fille adorée, la raison et peut-être la vie ; voyez son autre fille orpheline, privée d’appui ; et quand vous aurez fixé un instant les yeux sur ce tableau, dites-vous : C’est moi qui ai causé tant d’infortunes.

D’un autre côté, figurez-vous ces pauvres et innocentes créatures délivrées par vous de leurs souffrances passagères. Songez avec quel transport de joie l’aimable Nancy va voler dans vos bras ; voyez le sang colorer ses joues pâles et flétries, le feu de l’amour ranimer ses yeux presque éteints, et l’allégresse renaître dans son ame abattue ; pensez à l’ivresse de sa mère ; représentez-vous enfin toute une petite famille qu’un seul acte de votre volonté rend au bonheur… Si je connois bien mon ami, loin de la laisser plongée dans l’abîme, il n’hésitera pas à l’en tirer ; non, loin de la livrer à la misère et au désespoir, il l’élèvera par un effort magnanime au comble de la félicité. Je n’ajouterai qu’une réflexion, c’est que la justice vous fait un devoir de cette conduite, puisque le malheur auquel il s’agit de remédier est votre ouvrage.

— Ô mon cher ami, vous n’aviez pas besoin