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immobiles, se regardant l’un l’autre en silence. Enfin Jones prit la parole. « Je ne puis, madame, lui dit-il, vous exprimer combien je suis indigné de ce que je viens de lire. J’oserai pourtant vous conseiller d’écouter sur un point l’auteur de la lettre. Songez à la réputation de votre fille.

— C’en est fait, M. Jones ! s’écria mistress Miller ; c’en est fait de sa réputation aussi bien que de son innocence. Elle a reçu cette lettre devant une nombreuse compagnie, elle s’est évanouie en la lisant, et tout le monde a su ce qu’elle contenoit. Mais la ruine de sa réputation, quelque affreuse qu’elle soit, n’est pas le plus grand de mes malheurs ; je perdrai mon enfant. Elle a déjà tenté deux fois de s’ôter la vie. Nous avons réussi jusqu’à présent à l’en empêcher ; mais elle a juré de ne pas survivre à son honneur. Et si je la perds, je ne survivrai point moi-même à cet excès d’infortune. Que deviendra alors ma petite Betsy ? Une orpheline, un enfant sans appui. La pauvre petite aura le cœur brisé de douleur, en voyant le désespoir de sa sœur et de sa mère, quoiqu’elle en ignore la cause. Elle est si bonne ! si sensible ! Le cruel, le barbare, nous a toutes assassinées. Ô mes enfants ! est-ce là le prix de mes sacrifices ? Est-ce là le terme où doivent aboutir mes espérances ? N’ai-je rempli envers vous avec tant de plaisir les pénibles de-