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tions. L’ingratitude du misérable envers un si bon jeune homme est ce qui m’irrite le plus ; j’ai, madame, de fortes raisons de croire qu’il avoit conçu le dessein de supplanter mon neveu dans mon affection, et de m’engager à le déshériter.

— Assurément, monsieur, reprit mistress Miller un peu troublée (car, si M. Allworthy avoit le sourire plein de douceur, il inspiroit l’effroi quand il fronçoit le sourcil), assurément je ne dirai jamais de mal d’une personne dont il vous plaît de penser du bien. Cette conduite ne me siéroit guère, surtout lorsqu’il est question de votre plus proche parent. Mais, monsieur, vous ne pouvez, vous ne devez pas vous offenser de mon intérêt pour ce pauvre malheureux ; je puis bien lui donner ce nom maintenant. Hélas ! il fut un temps où vous vous seriez fâché contre moi, s’il m’étoit arrivé de parler de lui avec trop peu de considération. Que de fois vous ai-je entendu l’appeler votre fils ! que de fois m’avez-vous entretenue de lui avec toute la tendresse d’un père ! Je ne puis oublier tout ce que vous vous plaisiez à me dire de sa figure, de son esprit, de ses vertus, de sa générosité : non, je ne puis l’oublier. Il n’a point cessé de mériter cet éloge ; je le sais par ma propre expérience. C’est à lui que je dois le salut de ma famille. Excusez mes larmes, j’ai bien sujet d’en répandre, quand je considère dans