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Un enfant encore à l’alphabet auroit épelé cette lettre en moins de temps que Jones n’en mit à la lire. Elle excita en lui un mouvement de joie mêlé de chagrin, peu différent de celui qu’éprouve un honnête homme, à la lecture du testament d’un ami qui lui a fait, en mourant, un legs considérable, dont sa misère augmente le prix. En somme pourtant, la joie l’emporta sur le chagrin. Le lecteur pourra s’étonner qu’il en ressentît même aucun ; mais le lecteur n’est pas tout-à-fait aussi amoureux que Jones ; et l’amour, maladie qui ressemble assez à la consomption et la produit quelquefois, en diffère pourtant essentiellement en ce qu’il ne se flatte jamais et n’envisage rien sous un jour favorable.

Jones fut charmé de savoir que sa maîtresse avoit recouvré la liberté, et qu’elle étoit maintenant chez une parente qui la traiteroit du moins d’une manière convenable. Il trouvoit aussi un grand sujet de satisfaction dans la phrase de sa lettre, où elle faisoit allusion à l’engagement qu’elle avoit pris autrefois de lui demeurer fidèle ; car on peut douter que Jones, quelque désintéressée qu’il crût sa passion, de quelque générosité qu’il se piquât, eût pu recevoir un coup plus sensible que la nouvelle du mariage de Sophie avec un autre, quand ce mariage auroit été pour elle le plus brillant du monde et le plus propre à faire