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— Pouvez-vous avoir un tel désir de me rendre malheureuse ?

— Je te dis que non, reprit l’écuyer en élevant la voix. Mon unique désir est de te rendre heureuse. Dieu me damne s’il est rien que je ne fisse pour cela.

— Eh ! mon père, ne dois-je pas savoir ce qui peut me rendre heureuse ? S’il est vrai qu’on n’est heureux qu’autant qu’on s’imagine l’être, quel sera mon sort, quand je me croirai la plus malheureuse des créatures humaines ?

— Il vaut mieux vous croire malheureuse, que de l’être réellement, en épousant un gueux, un bâtard, un vagabond.

— Mon père, si cela peut vous satisfaire, je prendrai l’engagement solennel de ne jamais épouser ni lui ni aucun autre sans votre consentement. Laissez-moi vous consacrer ma vie entière. Souffrez que je sois encore votre petite Sophie ; et mon unique plaisir, mon unique soin sera, comme par le passé, de vous amuser et de vous plaire.

— Écoutez, Sophie, je ne suis pas homme à me laisser duper de la sorte. Si je donnois dans ce piége, c’est bien alors que votre tante Western auroit raison de me traiter de sot. Non, non, Sophie, j’ai trop de bon sens, trop d’expérience,