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Comme il achevoit ces mots, des larmes roulèrent dans ses yeux, et coulèrent en abondance de ceux de Sophie. « Mon père, dit-elle, je sais que vous m’avez toujours tendrement aimée, et le ciel m’est témoin que je n’ai jamais cessé de répondre du fond du cœur à votre affection. La crainte seule d’être forcée d’épouser cet homme, a pu me pousser à fuir un père si chéri, que je m’immolerois avec plaisir à son bonheur. J’ai tâché de prendre sur moi d’en faire davantage. Je m’étois presque résignée, pour vous complaire, au plus douloureux sacrifice ; mais je n’ai pas eu la force de le consommer, et je ne l’aurai jamais. »

Ici l’écuyer commença à prendre un air farouche ; le feu de la colère étincela dans ses yeux. Sophie, effrayée de ces terribles symptômes, le supplia de l’écouter encore, et continua ainsi :

« S’il s’agissoit de la vie, de la santé, ou du bonheur réel de mon père, je n’hésiterois pas à me dévouer. Oui, j’en atteste le ciel, il n’est point de malheur qui pût ébranler ma résolution. Cette union si détestée, j’en subirois l’horreur et le dégoût… Je donnerois ma main à Blifil, pour vous sauver.

— Je te dis, mon enfant, que cela me sauvera, me donnera la santé, le bonheur, la vie, tout au monde. Je mourrai si tu me refuses, j’en aurai le cœur brisé.