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menacée du moindre accident. Sophie, hors le seul point d’où dépendoit le bonheur de sa vie, avoit sur le cœur de son père un empire absolu.

Après avoir exhalé sa rage contre le capitaine et juré de le traduire devant les tribunaux, l’écuyer monta chez sa fille. Il la trouva pâle, tremblante, désolée. Aussitôt qu’elle le vit, elle rassembla ses forces, et le saisissant par la main : « Ô mon père ! s’écria-t-elle, je suis à demi-morte d’effroi. Mon Dieu ! que vous est-il arrivé ?

— Pas grand’chose ; le coquin m’a fait peu de mal ; mais je veux être damné, si je ne le poursuis pas en justice.

— De grace, mon père, que s’est-il passé ? quel est le misérable qui vous a insulté ?

— Je ne sais pas son nom. C’est, je le suppose, un de ces brutaux d’officiers que nous payons pour nous battre ; mais le scélérat n’en sera pas quitte à bon marché, s’il a quelque chose : ce dont je doute fort ; car malgré son bel habit, je crains qu’il ne possède pas au monde un pouce de terre.

— Mais, mon père, quelle étoit la cause de votre querelle avec lui ?

— Puis-je en avoir d’autre que vous, Sophie ? C’est de vous que viennent toutes mes peines. Vous finirez par faire mourir votre père. Un lord, et Dieu sait quel lord, s’est avisé de