morose. Comment vous peindre sa dureté ? il étoit froid et insensible à ma tendresse. Ces plaisanteries innocentes dont ma Sophie et mes autres amies daignoient s’amuser autrefois, il les écoutoit avec dédain. Avois-je l’air sérieux et mélancolique, il chantoit, il siffloit. Étois-je abattue, plongée dans le chagrin, il entroit en fureur et me maltraitoit. Si par hasard j’étois de bonne humeur, il n’avoit garde de partager ma gaîté, ni de l’attribuer à l’agrément de sa compagnie ; mais il s’offensoit toujours de ma tristesse, et l’imputoit au regret d’avoir épousé, disoit-il, un Irlandois.
« Vous concevez aisément, ma chère miss Sensée (pardon, je m’oublie), vous concevez, dis-je, aisément que lorsqu’une femme fait un mariage imprudent, selon le monde, c’est-à-dire lorsqu’elle ne sacrifie pas tout à l’intérêt, elle doit avoir quelque penchant, quelque affection pour son mari. Vous n’aurez pas de peine à croire non plus que le temps peut altérer cette affection, et je vous assure que le mépris finit par la détruire entièrement. J’en sentis un profond pour M. Fitz-Patrick, quand je m’aperçus qu’il étoit (passez-moi l’expression) un sot achevé. Vous vous étonnerez peut-être que j’aie tant tardé à faire cette découverte ; mais les femmes ne manquent jamais de raisons pour excuser les défauts de l’homme