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TOM JONES.

sacrifié son bonheur et le mien. La crainte de causer ma ruine l’a jeté dans le désespoir.

— Vous avez dit le mot, mademoiselle. Il n’y va de rien moins que de votre ruine, de donner votre main à un malheureux chassé par son bienfaiteur, et qui n’a pas un sou vaillant dans le monde.

— Chassé ! comment ? que veux-tu dire ?

— Oui, mademoiselle, chassé, la chose est certaine. Dès que M. Allworthy a su, par mon maître, que M. Jones avoit l’audace de faire la cour à mademoiselle, il l’a chassé de chez lui, sans un sou.

— Malheureuse ! j’ai donc causé sa perte ! chassé ! sans un sou ! Honora, prends ma bourse, prends mes bagues, prends ma montre, va, cours le trouver, porte-lui tout.

— Au nom de Dieu, mademoiselle, considérez que je réponds de vos bijoux à mon maître. Gardez-les, je vous en supplie. L’argent suffira de reste. Vous pouvez le donner, sans que mon maître en sache rien.

— Eh bien ! prends tout l’argent que je possède, va, cours, ne perds pas un moment. »

Honora partit sur-le-champ. Elle rencontra le garde au bas de l’escalier, et lui remit la bourse, qui contenoit seize guinées. C’étoit tout le trésor de Sophie. Malgré les libéralités de son père, elle étoit trop généreuse pour être riche.