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CHAPITRE XI.

savoir où il alloit. À la fin, ayant rencontré un petit ruisseau, il se jeta sur l’herbe qui en tapissoit le bord, et un léger mouvement de dépit lui arracha cette plainte : « Mon père, au moins, ne me refusera pas la liberté de me reposer ici ! »

Il tomba ensuite dans de violentes convulsions, s’arracha les cheveux, et se livra à tous les transports qu’inspirent d’ordinaire la folie, la rage, et le désespoir.

Après cette première explosion, il se calma un peu ; sa douleur s’exhala avec moins d’emportement, et lui laissa assez de sang-froid pour examiner ce qu’il avoit de mieux à faire, dans sa déplorable situation.

Et d’abord, quel parti devoit-il prendre par rapport à Sophie ? L’idée de la quitter lui déchiroit le cœur, celle de la réduire à la misère le pénétroit d’un sentiment plus douloureux encore. Si, dans l’ardeur de la posséder, il pouvoit hésiter sur l’alternative, étoit-il certain qu’elle consentît à le rendre heureux, au prix de sa ruine ? Il craignoit d’ailleurs d’affliger M. Allworthy et d’encourir son ressentiment. Enfin, l’impossibilité manifeste du succès, même en y sacrifiant ces diverses considérations, termina sa pénible incertitude. Ainsi l’honneur, la reconnoissance, et le désespoir, joints à un véritable amour, triomphèrent de sa brûlante passion. Il résolut de fuir