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TOM JONES.

Sophie le saisit par le pan de son habit : « Mon père, s’écria-t-elle, ayez pitié de moi, je vous en conjure ; adoucissez ce regard sévère, ce cruel langage. Pouvez-vous être insensible au désespoir de votre fille ? le meilleur des pères consentira-t-il à me percer le cœur ? voudra-t-il me faire mourir de la mort la plus lente, la plus douloureuse, la plus barbare ?

— Bah ! bah ! sottises, niaiseries, ruses de fille que tout cela. Vous faire mourir, dites-vous ? Le mariage vous feroit mourir ?

— Ô mon père, un tel mariage est pire que la mort. Ce n’est pas de l’indifférence, c’est de la haine, c’est de l’horreur que j’ai pour M. Blifil.

— Quand vous le haïriez cent fois davantage, vous l’épouserez. » Il scella cet arrêt par un affreux jurement. « Oui, s’écria-t-il en fureur, mon parti est pris, j’ai résolu ce mariage, consentez-y, ou vous n’aurez pas un sou de moi, pas une obole. Je vous verrois expirer de faim dans la rue, je ne vous donnerois pas un morceau de pain. Telle est mon immuable volonté. Songez-y bien. » À ces mots, il s’arracha des mains de sa fille avec tant de violence, qu’il la jeta le visage contre terre, et, la laissant étendue sur le parquet, il sortit précipitamment de la chambre.

Il entra au salon, où il trouva Jones. Celui-ci le voyant pâle, égaré, presque hors d’haleine,