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TOM JONES.

L’écuyer se retira aussitôt que M. Blifil fut arrivé, et le laissa seul avec sa fille.

Il se passa près d’un quart d’heure, sans que ni l’un ni l’autre proférât un seul mot. Le jeune homme, qui devoit naturellement commencer l’entretien, avoit toute la gaucherie que donne la timidité ; de temps en temps il essayoit de parler, et les paroles expiroient sur ses lèvres ; à la fin, triomphant de son embarras, il se répandit en un torrent de compliments recherchés et d’hyperboles galantes. Sophie, les yeux baissés, ne lui répondit que par de légères inclinations de tête, et des monosyllabes polis. Blifil, sans expérience du caractère des femmes, et plein d’une sotte présomption, interpréta cette conduite, comme un modeste acquiescement à ses vœux ; et quand Sophie, pour abréger une scène trop pénible, se leva et sortit, il ne vit dans sa retraite que l’effet de la pudeur, et se consola en pensant que, dans peu, il jouiroit sans obstacle du plaisir de sa compagnie.

La perspective du succès lui causoit une pleine satisfaction ; car il n’étoit pas de ces amants romanesques, qui ne peuvent être heureux que par la possession entière, absolue du cœur de leur maîtresse. Il n’en vouloit qu’à la fortune et à la personne de Sophie, et toutes deux lui sembloient prêtes à tomber entre ses mains. Sa confiance