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TOM JONES.

rompre. « J’avoue, dit-elle, que je l’envisageai d’abord avec indifférence et même avec une sorte d’éloignement. L’idée qu’il étoit l’objet de vos vœux me fit ensuite changer de sentiment. Aujourd’hui, je le regarde comme indispensable, et si l’on m’en croit, on ne perdra pas un instant pour le conclure.

— Madame, répartit Sophie, j’espère au moins obtenir quelque délai de votre bonté et de celle de mon père. Vous ne me refuserez pas le temps nécessaire pour vaincre, s’il est possible, l’extrême répugnance que m’inspire cette union.

— Ma nièce, j’aurois bien peu d’expérience du monde, si j’étois capable de donner dans un tel piége. Instruite, comme je le suis, qu’un autre homme possède votre cœur, je dois engager mon frère à presser le mariage de tout son pouvoir. Ce seroit une plaisante tactique de traîner un siége en longueur, quand l’armée ennemie s’avance au secours de la place. Non, non, Sophie, puisque vous êtes malheureusement en proie à une passion violente et honteuse, je ne négligerai rien pour débarrasser le plus tôt possible vos parents du soin de votre honneur. Une fois mariée, votre époux seul en sera chargé. Je veux croire, mon enfant, que vous vous conduirez toujours bien. En tout cas, vous ne seriez pas la première femme que le mariage auroit sauvée de l’opprobre. »