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manger, que des sages ont considéré comme infiniment grossier et contraire à la dignité philosophique, doit être satisfait, jusqu’à un certain point, par tous les princes, les héros, et les philosophes du monde. Quelquefois même la nature bizarre y soumet plus impérieusement ces êtres privilégiés, que les gens de la lie du peuple.

À dire vrai, comme aucun habitant connu de ce globe n’est au-dessus de l’homme, aucun ne doit se tenir humilié d’obéir à ce qui est pour l’homme une loi de nécessité ; mais quand les grands personnages dont nous venons de parler, prétendent réserver pour eux seuls la faculté de satisfaire les vils besoins de la nature, quand par exemple, à force de thésauriser, ou de détruire, ils semblent vouloir ravir aux autres jusqu’à l’aliment de la vie, alors ils deviennent, à juste titre, un objet de mépris et d’exécration.

Après ce court préambule, nous ne craindrons pas d’avilir notre héros, en faisant mention de l’ardeur immodérée avec laquelle il assouvit sa faim. Il est permis de douter qu’Ulysse lui-même, le plus vorace (soit dit en passant) des héros de l’Odyssée, ce poëme où l’on mange tant, ait jamais montré un si violent appétit. Trois livres au moins d’une viande rôtie qui faisoit naguère partie d’un bœuf, eurent l’honneur de devenir partie intégrante de l’individu de M. Jones.