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decins m’envoyèrent aux eaux de Bath. La violence de ma douleur, jointe à une vie sédentaire, m’avoit causé une espèce de paralysie, pour laquelle l’usage de ces eaux est regardé comme un remède presque souverain. Le lendemain de mon arrivée, j’allai me promener au bord de la rivière. Quoiqu’on ne fût encore qu’au printemps, le soleil avoit déjà tant de force, qu’il m’obligea de me retirer sous l’ombrage de quelques saules, pour me défendre contre l’ardeur de ses rayons. À peine y étois-je assis, que j’entendis, de l’autre côté des arbres, un homme gémir et se plaindre amèrement. Tout-à-coup il s’écria avec une horrible imprécation : « C’en est fait, je n’y puis plus résister. » Et au même instant, il se jeta dans l’eau. Je me levai soudain, et m’élançai vers l’endroit d’où le cri étoit parti, en appelant au secours de toutes mes forces. Heureusement, un pêcheur que des touffes de jonc fort élevées m’avoient empêché d’apercevoir, tendoit ses filets un peu au-dessous de moi. Il accourut, et nous parvînmes, non sans péril, à tirer le malheureux hors de l’eau. Il ne donnoit aucun signe de vie. Quelques personnes étant survenues, elles nous aidèrent à le tenir suspendu en l’air, par les talons. Il rendit une grande quantité d’eau, puis il commença à respirer, et à remuer un peu les bras et les jambes.