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riche et gueux, et rendoit souvent au cabaret, à des amis qui l’enivroient, sans boire eux-mêmes, l’argent qu’il avoit gagné au jeu à des dupes.

« Nous recourions sans cesse à de nouveaux expédients, pour nous procurer une chétive nourriture. Je n’en continuai pas moins ce métier deux années entières, pendant lesquelles j’éprouvai tous les caprices du sort ; tantôt au comble de la prospérité, tantôt dans l’abîme de la misère ; aujourd’hui savourant les mets les plus délicats, le lendemain réduit aux plus vils aliments ; souvent vêtu l’après-midi d’habits magnifiques, et le jour suivant forcé de les mettre en gage.

« Un soir que je revenois du jeu, sans un sou, j’entendis un grand tumulte, et je vis une nombreuse populace rassemblée dans la rue. N’ayant rien à craindre des filous, je me mêlai à la foule. J’appris qu’un homme venoit d’être volé et fort maltraité par des bandits. Le blessé étoit couvert de sang, et avoit peine à se soutenir sur ses jambes. Le désordre de ma vie, en étouffant dans mon cœur la probité et la honte, n’y avoit pas éteint tout sentiment d’humanité. Je m’empressai d’offrir mes secours à l’inconnu. Il les accepta avec reconnoissance, se mit sous ma protection, et me pria de le mener à une taverne où il pût