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CHAPITRE III.

M. Allworthy connoissoit trop bien son voisin, pour s’offenser de cette boutade. D’ailleurs, quoique ennemi de la contrainte que quelques parents exercent dans le mariage de leurs enfants, et résolu de ne point forcer le penchant de son neveu, il éprouvoit une véritable satisfaction de ce projet d’alliance. Tout le canton retentissoit des louanges de Sophie, lui-même admiroit les charmes de son esprit et de sa figure ; il savoit en outre apprécier l’avantage de son immense fortune ; car, sans attacher à la richesse un prix excessif, il étoit trop sage pour la mépriser.

Et ici, en dépit de tous les critiques du monde, nous nous permettrons une légère digression sur la nature de la vraie sagesse, qui composoit, avec la vraie bonté, le caractère de M. Allworthy.

La vraie sagesse, quoi qu’en disent de vains sophistes et des dévots atrabilaires, ne consiste point à dédaigner les richesses, ni le plaisir. On peut jouir d’une grande fortune, et n’être pas moins sage que le mendiant qui tend la main aux passants dans la rue. On peut avoir une belle femme, un ami dévoué, et être aussi sage que le triste reclus qui enterre au fond d’un cloître ses qualités sociales, et se laisse mourir de faim, en déchirant ses épaules à coups de fouet.

L’homme le plus sage est aussi le plus susceptible de bonheur. La modération, en nous en-