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d’ingratitude. Tout mon regret est de ne pouvoir vous témoigner ma reconnoissance autrement que par des paroles. »

Jones l’assura qu’il pouvoit lui procurer, de cette manière, un sensible plaisir. « Je vous ai avoué ma curiosité, lui dit-il ; dois-je ajouter que je vous aurois une obligation infinie de la satisfaire ? Daignez (si aucun motif ne vous force au silence), daignez m’apprendre les raisons qui vous ont engagé à vous séparer de la société de vos semblables, et à embrasser un genre de vie, pour lequel il paroît assez que vous n’étiez pas né ?

— Après le service signalé que vous m’avez rendu, répliqua le vieillard, je n’ai droit de vous rien refuser. Si donc vous désirez entendre l’histoire d’un infortuné, je suis prêt à vous raconter la mienne. Vous avez raison de croire qu’il y a communément quelque chose d’extraordinaire dans la destinée de ceux qui renoncent au commerce de leurs semblables. On peut dire, sans crainte d’avancer un paradoxe, ou de tomber dans une contradiction, que l’excès de la philanthropie nous porte naturellement à détester et à fuir les hommes, moins à cause de leurs vices personnels, qu’à cause de ceux qui sont inhérents à l’état de société, tels que l’envie, la malice, la trahison, la cruauté, et toutes les autres espèces de malveillance. Ce sont ces derniers vices que