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— Pourquoi non, monsieur, répondit Partridge ? Oh ! si j’avois, moi, les yeux fixés sur un bon aloyau, le diable pourroit emporter, sans que je m’en misse en peine, la lune, et ses cornes par-dessus le marché.

— Réponse digne d’un Caraïbe ! Dis-moi, Partridge, as-tu jamais connu l’amour ? ou le temps en a-t-il éteint, dans ton cœur, jusqu’à la dernière étincelle ?

— Hélas ! plût à Dieu que je ne l’eusse pas connu. Infandum, regina, jubes rénovare dolorem[1]. J’ai goûté, monsieur, toute la douceur et toute l’amertume de cette sublime passion.

— Ta maîtresse te fut donc cruelle ?

— Très-cruelle ; car elle m’épousa, et devint la plus méchante des femmes. Mais Dieu soit loué, elle n’est plus. Si je la croyois dans la lune, où vont, suivant un livre que j’ai lu jadis, les esprits des trépassés, je ne regarderois jamais cet astre, dans la crainte de l’y apercevoir. Mais je souhaiterois, monsieur, pour l’amour de vous, que la lune fût un miroir, et qu’elle réfléchît en cet instant à vos yeux l’image de miss Sophie Western.

— L’heureuse pensée ! mon cher Partridge, elle n’a pu s’offrir qu’à l’imagination d’un amant. Ô Partridge ! si j’osois me flatter de la voir encore

  1. Vous m’ordonnez, ô reine, un récit douloureux.