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si innocente, que la méchanceté même auroit eu peine à y rien reprendre.

Ce n’est pas que Jones euût l’intention de taire, ou d’altérer la vérité. Loin de là ; il eût été plus fâché de voir M. Allworthy encourir le blâme public pour l’avoir puni, que de s’entendre blâmer lui-même pour avoir mérité de l’être. Mais dans la réalité, il lui arriva ce qui arrivera toujours. Quelque franc que soit un homme, s’il rend compte de ses actions, il ne manque pas, en dépit de sa sincérité, de les montrer sous l’aspect le plus favorable. Ses défauts semblent s’épurer en passant par ses lèvres, comme une liqueur dépose au fond du vase les impuretés dont elle étoit chargée. Dans l’exposition des faits, les motifs, les détails, les conséquences se présentent d’une manière si différente, quand c’est le héros de l’histoire, ou son ennemi qui la raconte, qu’on a peine à en reconnoître l’identité.

Le barbier n’avoit pas perdu un mot du récit de Jones, et n’étoit pas encore satisfait. Il restoit une circonstance que, malgré sa prétendue réserve, M. Benjamin brûloit de connoître. Jones ne lui avoit fait mystère ni de ses amours, ni du nom de Blifil son rival ; mais il avoit tu soigneusement celui de sa maîtresse. Le barbier hésita quelque temps, regarda Jones en face, toussa