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vous le saignerez. Mais, écoutez ; un mot à l’oreille ; je vous conseille, avant tout, de voir qui vous payera.

— Qui me payera ? répéta le chirurgien en ouvrant de grands yeux. Belle question ! n’ai-je pas affaire à un gentilhomme ?

— Je le croyois tel ; mais, comme disoit mon premier mari, l’apparence est souvent trompeuse. Ce n’est qu’un pied-plat, je vous assure. N’ayez pas l’air pourtant de le tenir de moi. J’ai pensé qu’entre gens qui vivent de leur état, on se devoit les uns aux autres ces sortes d’avertissements.

— Et j’ai souffert, s’écria le docteur en furie, qu’un pareil drôle me donnât des leçons ! et je laisserois insulter mon art par un gredin qui ne me payera pas ! Je suis ravi d’avoir fait à temps cette découverte. Nous allons voir à présent, s’il se laissera saigner ou non. »

Il dit, remonte à grands pas l’escalier, ouvre avec violence la porte de Jones, qui dormoit profondément, l’éveille en sursaut, et l’arrachant aux délices d’un songe dont Sophie étoit l’objet : « Voulez-vous être saigné, oui ou non ? lui cria-t-il d’une voix de tonnerre.

— Je vous ai déjà dit que non ; et plût à Dieu que vous vous en fussiez souvenu ! Vous venez d’interrompre le plus doux sommeil que j’aie goûté de ma vie !