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CHAPITRE II.

Oui, la chose est sûre, et j’en suis enchanté. Je savois que Sophie étoit une fille sage, incapable de se prendre d’amour, sans l’aveu de son père. Jamais je n’ai été si content de ma vie, nos deux terres se touchent ; je roulois depuis long-temps dans ma tête le projet de les réunir. Elles sont déjà en quelque sorte mariées, et ce seroit grand dommage de les séparer. J’avoue qu’il y en a de plus considérables dans le royaume, mais non pas dans ce comté, et j’aime mieux rabattre quelque chose de mes prétentions, que de donner ma fille à un étranger. D’ailleurs, la plupart de ces grandes terres sont entre les mains des lords, et je hais jusqu’à leur nom. Eh bien, ma sœur, que me conseillez-vous de faire ? car les femmes, j’en conviens volontiers, s’entendent mieux que nous à ces sortes d’affaires.

— Votre obligée servante ! grand merci de nous accorder quelque espèce de capacité. Puis donc que vous daignez, monsieur le profond politique, me demander mon avis, je pense que vous pouvez proposer, vous-même, le mariage à M. Allworthy. Tout père peut faire cette démarche, sans blesser les convenances. Le roi Alcinoüs, dans l’Odyssée, offre sa fille à Ulysse. Il est inutile d’avertir un aussi habile homme que vous, qu’il ne faut point parler de l’inclination de Sophie ; cela seroit contre toutes les règles.