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reçu un don considérable, l’odieuse pensée lui vint de ravir tout l’argent que renfermoit le secrétaire de son bienfaiteur. Dans ce dessein, il s’introduisit le soir dans un passage qui communiquoit à l’appartement de M. Derby. Là, il l’entendit pendant plusieurs heures, se livrer à la joie que lui inspiroit une petite fête qu’il donnoit à quelques amis, et à laquelle il avoit convié Fisher lui-même. Durant tout ce temps, aucun sentiment d’affection ou de reconnoissance n’émut son cœur et ne combattit sa coupable résolution. Au moment que l’infortuné gentilhomme rentroit dans sa chambre, après avoir reconduit ses amis, Fisher sortit du lieu où il se tenoit caché, et s’avançant doucement derrière lui, il l’étendit mort à ses pieds d’un coup de pistolet. On croira ce fait, quand les os de Fisher seront réduits en poudre. On croira même qu’il alla deux jours après à une représentation d’Hamlet, avec quelques jeunes femmes, et que l’une d’elles, qui ne se doutoit guère qu’elle fût si près du meurtrier, s’étant écriée : « Bon Dieu ! si l’assassin de M. Derby étoit ici ! » il entendit cette exclamation sans changer de visage : manifestant par son sang-froid un cœur plus endurci, plus atroce que celui de Néron, dont Suétone rapporte, qu’il n’eut pas plus tôt fait périr sa mère, que le poids de son crime lui devint insupportable, et que