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CHAPITRE II.

rois, et de découvrir les secrets ressorts qui font mouvoir la machine politique de l’Europe, doit avoir peu de peine à lire dans le cœur ingénu d’une jeune fille.

— Ma sœur, je vous ai souvent priée de bannir de nos entretiens votre jargon de cour ; car je vous déclare net que je n’y comprends rien ; en revanche, je suis en état de lire, comme un autre, mon journal du soir, et j’y vois de reste que nos affaires ne vont pas comme elles devroient aller, à cause de l’intrigue et de la corruption des gens de cour.

— Mon frère, j’ai pitié de votre ignorance campagnarde.

— Et moi, ma sœur, de votre science citadine ; et je ne sache rien de pis au monde que d’être courtisan, presbytérien, ou hanovrien, comme certaines personnes de ma connoissance.

— Si c’est moi que vous avez en vue, par ces paroles, vous savez, mon frère, que je suis une femme : ainsi mon opinion a peu d’importance. D’ailleurs…

— Oui, oui, je sais que vous êtes une femme, et remerciez le ciel d’en être une. Si vous étiez aussi bien un homme, il y a long-temps que je vous aurois appliqué un fameux coup de poing.

— Ah vraiment, c’est dans la vigueur de votre poing que consiste votre prétendue supériorité.