Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 2.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moi-même, dit-il, à la bataille de Dettingen, après lui avoir fait sauter la cervelle. La garde en étoit d’or ; je la vendis à un de nos petits-maîtres qui, n’en déplaise à votre seigneurie, estiment plus la poignée que la lame. »

Jones l’interrompit et lui demanda de nouveau de mettre un prix à son épée. Le sergent, qui croyoit notre héros dans un délire complet, et proche de sa fin, craignit de faire tort à sa famille, s’il en demandoit trop peu. Il hésita un moment, puis il répondit qu’il se contenteroit de vingt guinées, protestant qu’il ne la vendroit pas une obole de moins à son propre frère.

— Vingt guinées ! s’écria Jones avec surprise, vous vous imaginez sans doute que je suis fou, ou que je n’ai jamais vu d’épée de ma vie. Vingt guinées ! je ne vous aurois pas cru capable de me tromper. Tenez, reprenez votre épée… Mais non, je veux la garder ; je la montrerai demain à votre officier, et je lui dirai le prix que vous m’en avez demandé. »

Le fourbe, que rien ne déconcertoit, jugea bien, par cette réponse, que Jones n’étoit pas dans l’état où il l’avoit supposé. Il changea aussitôt de batterie, et feignant une surprise égale à la sienne. « Je ne pense pas, monsieur, lui dit-il, vous avoir surfait. Songez que c’est la seule épée que j’aie, et qu’en vous la vendant, je m’expose