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— Eh bien, fiez-vous-en donc à vos yeux. C’étoit un habile homme que mon premier mari. Il avoit coutume de dire, qu’il ne falloit pas toujours juger des gens sur l’apparence. Ce n’est pas que ce jeune homme ne puisse être très-bien de figure ; car je ne l’ai vu que tout couvert de sang. Qui l’auroit cru ? c’est peut-être un jeune cavalier traversé dans son amour. Bonté céleste ! s’il venoit à mourir, quel chagrin ce seroit pour ses parents ! il falloit que le scélérat qui a fait le coup, fût possédé du diable. Sûrement, comme le dit votre seigneurie, ce misérable est la honte de l’armée. La plupart des autres officiers ne lui ressemblent guère. Comme disoit mon premier mari, ils ont autant de répugnance à verser le sang chrétien, en temps de paix, que des gens de robe ou d’église. En temps de guerre, c’est différent. Il faut qu’il y ait du sang répandu ; on ne doit pas leur en faire un crime ; plus ils tuent de monde, mieux ils servent le pays ; et je voudrois de tout mon cœur qu’ils exterminassent jusqu’au dernier de nos ennemis.

— Fi ! madame, fi ! dit le lieutenant en souriant, voilà un vœu bien sanguinaire.

— Pas du tout, monsieur, je ne suis point sanguinaire. Je n’en veux qu’à nos ennemis, et il n’y a pas de mal à cela. Il est tout naturel de désirer qu’on les tue, afin que la guerre finisse, et